arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > gares prochaines

gares prochaines

vendredi 19 novembre 2021

Gares prochaines,
Gais chemins grands…
Quelles aubaines,
Bons juifs errants !

Verlaine, « Walcourt »


Metz. Depuis la Gare, sorti de dix heures de train ou presque après avoir fait cette diagonale (mais quand on traverse Besançon ou Colmar, peut-on dire qu’on y est, ou dans le cœur pas même tumultueux d’une route pesant de tout son poids sur novembre), jeté dans la ville sous la brume, la nuit, rien à voir qu’elle, la nuit, la ville dessous si elle existe, et aller jusqu’à l’île du Saulcy droit devant, ne rien reconnaître, une fête foraine atroce, on y pousse des cris faiblement pour donner le change à sa vie, les manèges au ralenti tournent la danse pour de faux des malentendus, on pourrait être ailleurs, on y est, c’est Metz, la Moselle la traverse elle aussi en songeant être ailleurs, le bois mort qui y tombe, c’est encore Metz, le pavés mauvais, les flics devant le Tribunal – n’aurais vu que ceux-là de vivants dans cette ville, ces types en armure qui riaient grassement –, et le ciel noir au-dessus qui passait tout aussi bien ou mal, accroché aux arbres nus mais tirant comme sur sa robe déchirée et sans pudeur, pleurant un peu.

Dans le train, écrire possède cette allure propre à ce temps mort et emporté, avec la nausée, avec les villes qui passent et qu’on abandonne à leur sort, qui nous abandonne à notre sort, le monde qui coulisse comme si on en avait assez vu de lui à chaque seconde, et c’est vrai, mais il en vient un toujours après, de monde, sur l’écran de la vitre et qui se lève pour s’évanouir, les hommes rêvant dedans les maisons, mourant, hurlant des ordres aux enfants, et parfois écrivant en regardant passer les trains.

La pluie qui tombe ici ressemble aux murs qui tombent aussi. Ils auront beau refaire les centres pour les transformer en vitrines semblables ici comme à Rennes, Bordeaux, Montpellier, tout ce qui reçoit nom de villes et rejoint cette image de ville moderne posée a priori en dehors d’elles à laquelle ils vont, par quelle fatalité, toutes finir par ressembler, ici, la pluie tombe différemment qu’ailleurs, même – et surtout – quand elle ne tombe pas, qu’elle se lève de la Moselle pour tout envelopper et se mêler à nos respirations quand on rentre du spectacle, vers minuit, et que le ciel ne peut pas être plus noir mais tâche de l’être, et que les usines à tabac transformés en hôtel s’éclairent, un peu, de leur lumière laide, sur un jour effacé parti rejoindre les autres, ce jour qui ne reviendra pas que j’aurai traversé en diagonale et comme pour mettre ce point final.