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pendant qu’on est dans la vie

[Journal • 10.05.22]

mardi 10 mai 2022

On ne peut pas se retrouver pendant qu’on est dans la vie.
Y a trop de couleurs qui vous distraient et trop de gens qui bougent autour.
On ne se retrouve qu’au silence, quand il est trop tard,
comme les morts.

L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932

On pense toujours qu’on est après, juste après : c’est faux, on est toujours irrémédiablement pendant, et c’est sans doute le plus cruel — que la suite vient toujours aussi pendant qu’elle a lieu, qu’on est face à elle à chaque instant, et chaque instant nous la dérobe, tant qu’on est tout à cette coulée de boue qui nous entraîne toujours plus avant dans le présent au milieu de lui et de ses traces dont on fait partie, une seule même phrase coulée [1] dans le dedans de cette matière pâteuse de la pensée et de la chair, tout désir confondu avec l’idée même de ce qui le rend impossible et désirable, et les foules qui avancent dans le ventre pourri du présent cherchant de toutes parts à en déchirer la paroi avec les cris et les mains, avec les colères hurlées et les désespoirs qui leur donnent ce corps digne et nous tous au-dedans de nous-mêmes, des rêves qui n’ont pas de contours, des rêves sans formes et perdus et oubliés sitôt exécutés parfaitement dans le matin englouti, nous aussi, pendant qu’il est temps, on tend les bras vers nous-mêmes songeant aux autres qui nous peuplent et tout s’efface — restent les cris quelque part d’un qui n’a pas tout à fait désespéré de ce qui n’existe plus.

Titre de thèse : « Souvenirs de la Révolution française (1789-1794) pendant le Haut Moyen-âge en Europe occidentale entre 476 et l’an mille : une histoire enfouie » — la très brève bibliographie indiquerait assez l’ampleur de la tâche, et sa nécessité.

Choses vues : à l’arrière de la casse, tandis que le gars trafiquait là-bas je ne sais quoi, la voiture éventrée devant-moi, obscène, encrassée, pas même bonne à finir à la casse (elle y était, mais comme délaissée dans ce mouroir), donnait à voir peut-être le devenir de toute forme de vie et de non-vie : la gloire sous le soleil tenait à la présence butée de la matière par-dessus son ombre, et son insistance à exister malgré tout n’implorait plus rien, cette obstination à devenir de l’immobilité rageuse sans fonction ni but devant quoi je me tenais et qui aurait même pu devenir un fragment de texte que j’aurais pu déposer dans mon journal, si j’en avais le temps, mais quand ?


[1Je n’oublierai ce que je dois à ce mot, à celui qui l’a nommé pour moi.