arnaud maïsetti | carnets

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de la précision (et de la justesse)

lundi 17 mai 2010



Dance Until You’re Her, Up To the Ground ("White Noise", 2010)

some of us fought, forget forever
some of us laughed but we sticked together

Dans la voix du chanteur, cette lenteur qu’accentuent encore dehors les premières chaleurs, le premier jour où monte du sol cette sorte d’apesanteur sans rythme, sans hauteur. Comme j’aimerais avoir, pour parler, cette voix ; je veux dire : non pas ce timbre, mais cette hauteur qui tient à la fois les mots et le chant à distance. Précise comme un la, dense et précise, sur chaque ligne l’intonation et la puissance : précises.

Se souvenir de ce qu’un jour un professeur avait dit — "la vérité, c’est l’affaire des flics ; la justesse, celle des musiciens : aux écrivains, la précision, l’exactitude." Que tout soit dans la précise seconde, là ; depuis lors : et pour encore après, dans la seconde d’après : que la précision résiste.

Avoir tout le jour pour soi, dix heures en tout, et le récit qui creuse en avant des territoires inconnus et de si grands encore sous le poignet qui grandissent tant qu’on sait bien qu’on n’en sortira pas ; mais le soir, avoir entre les mains une seule phrase vivante.

(je la note ici :

« Sur la surface d’un miroir, on ne reconnaît de son visage que ce qui fait défaut, ce qui blesse : c’est qu’on se heurte toujours au plein des formes, jamais au visage extérieur qui est celui de son rêve ; alors je refuse de choisir au hasard les murs où je vais, et place mon corps en retrait de la lumière pour neutraliser les miroirs que sont devenus dans cette ville les trottoirs, et mon ombre qui se répandait jadis — s’étalait pour me faire face et me dévisager littéralement — ne s’échappe maintenant plus vers le sol : je la garde en moi. » )

Quand j’écoute, encore et encore, Up To The Ground, en boucle cette chanson dont je n’entends pas un mot mais en comprends la précision sèche du rythme (et comment du rythme, le rétention du mot parvient, et combien le chant se retire à mesure qu’il se donne, dans la voix posée, puis forcée, puis déportée dans ce qui la déchire, un sanglot, un murmure), je vois bien la justesse, je pressens bien la vérité : mais j’en suis séparé, je le sais.

Et la précision, comme l’eau tombe toujours sur le même trottoir de la même ville : où la trouverai-je ?

Je plonge mes mains dans ce noir mouvant qui me devance, et quand je les retire, elles sont en sang ; ce n’est que le mien.