arnaud maïsetti | carnets

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pas de témoin pour cette nuit

samedi 10 juillet 2010



Soft Black Stars (Antony & The Johnsons, ’I Fell in Love With a Dead Boy (EP)’, 2001)

Let them trace the raindrops under soft black stars
Let them follow whispers and scare away the night


De la vitesse d’exposition des corps — de la grandeur des pupilles sur l’horreur — de la profondeur des plaies quand on les élargit pour en vérifier la présence — de la largeur des entailles sur le rêve, au matin, quand on l’écrit — du nombre de chiens errants morts à Bagdad ce mois — de la souillure, des rues lavées au matin sur la nuit sale d’avoir été veillée : combien de témoins ; combien de survivants.

Du temps de pose accordé sur une seconde de honte au partage des trottoirs — du bruit du métro, des portes ouvertes puis fermées sur un bruit de fond plus tenace dans le crâne qui durera jusqu’à l’aube — du bruit de l’eau sur le corps quand il se laisse tomber, qu’il va chercher plus bas ce qu’il n’a pas trouvé dans nos villes montées hautes sur le ciel — des malentendus, des silences, des livres fermés pour toujours : combien qui résistent : combien qui tiennent.

De la nuit qu’on change en jour sur nos appareils photos — des mensonges sur lesquels fermer les yeux (et ça ne change rien, sauf à leur inventer une couleur) — des cathédrales de pierres qui ne sont là que pour se vider : comme un long corps de souffrance accroché au mur, dévisageant, montrant, mourant enfin, peut-être — des lettres échangées sans rien en attendre, rien : que la parole donnée, la parole reprise — des vélos renversés sur la route, à pleine vitesse, et des cris puis (des cris encore) et des gens qu’on ramasse et qu’on met où.

D’un enfant que je n’aurai pas : rien à transmettre, rien à donner : que le jour qui lentement se donne et se défait comme un lacet — il ne pleuvra pas ce soir, je le vois dans les étoiles : il n’y a pas de témoin pour cette nuit, il n’y aura pas de souvenir, il n’y aura pas d’histoire de cette nuit : j’ai beau noter tout ce qu’elle apporte à chaque seconde, il n’y aura rien que cette nuit, puis une suivante, une autre encore, et une autre qui viendra se confondre et s’évanouir dans la nuit suivante.