arnaud maïsetti | carnets

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le soleil ni la mort

mercredi 15 septembre 2010



Sunlight (Max Richter ’Songs From Before’, 2006)



Les morts remontent, puissants d’os et d’écorce, de cuir et de sommeil, parleurs muets, mangeurs d’argile ; et le fruit tombe, et boucle par sa chute le cycle interminable.

L. Edouard-Martin, Avènement des ponts

Devant les morts, on n’a pas les choix — on ne parle pas. Dans la chambre d’un mort, on se tait : non pas qu’on pourrait le réveiller, mais comme devant un muet on se met à agiter les bras, on adopte l’attitude de l’autre.

Alors, quand on sonde les morts qu’on porte, lourds de sommeil et de temps passer à les oublier, ce qui remonte est plein de ce silence poisseux qu’on avait finit par confondre avec un bruit de fond désagréable en soi (pas la culpabilité ni le remord : juste la sensation du dégoût d’avoir passé et oublié). Forcément quand ils reviennent, on se tait et on écoute.

Les cadavres entreposés les uns sur les autres en soi possède leur mémoire, fine, précise, aiguisée aux endroits de plus grandes défaites ; on pourrait fuir sur le champ, ce serait facile, tant d’occasions pour le faire : on ne le fait pas — on comprend qu’on n’a pas vraiment sondé les morts, mais que ce sont eux qui sont venus à nous, qu’ils ont dû toucher au fond de la conscience une profondeur invisible, et qu’ils viennent remonter, faisant vibrer autour d’eux des remous qu’on n’attendait pas, qui apportent avec eux d’autres vibrations, d’autres remous.

C’était il y a quelques jours, et ce poids de silence qui est venu a fait bouger les lignes. On n’est pas censé regarder le soleil ni la mort en face — mais qu’on s’y attarde un peu, et c’est, en se retournant, une tache blanche à l’œil, une sorte de trouée d’irréalité qui repeuple un peu, un temps, les forces mortes du jour. On est plus vivant d’avoir été mort, peut-être.

Ainsi, on porte ces corps-là en nous comme d’autres voix qu’on a su entendre dans les rêves, et dont on ignorait alors qu’elles sortaient de notre gorge, notre véritable gorge silencieuse du corps reposé sur le lit, qui dort, qui va s’éveiller.