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Où les coeurs s’éprennent

vendredi 15 octobre 2010


Chanson de la plus haute tour (Arthur Rimbaud ; Musique : Léo Ferré)


Je me suis dit : Laisse,
Et qu’on ne te voie.

Et sans la promesse

De plus hautes joies.

Que rien ne t’arrête,

Auguste retraite.

Arthur Rimbaud, Chanson de la plus haute tour


Pas de leçon à donner, non : mais alors, encore moins à recevoir — on pourrait bien sûr en appeler aux vieilles jeunesses encore vives dans nos livres, dans notre histoire, nous qui n’en avons pas (nous sommes si jeunes) : il faudrait pour cela de la mémoire, et on en manque tant, on en manquera toujours.

Pas de leçon pour ceux qui voudraient parler à la place de ceux qui marchent — toujours les mêmes répétitions bornées à ceux qui passent, celui qui intercepte dans sa course ou son immobilité, une balle perdue — pas pour tout le monde — sans perspective, et dans l’angle de vision, la pellicule brûlée du réel sans avenir.

Seulement, en croisant la manifestation dans la rue qui descend vers la cathédrale —

MANIFESTATION
(ma-ni-fè-sta-sion ; en vers, de six syllabes) s. f.
1° Action de rendre manifeste.

Ce n’est point cette manifestation de sa sagesse [de Jésus] qui est admirable, c’est cette longue suppression qu’il en a faite.

NICOLE, Essais, t. XIII, p. 321, dans POUGENS.


Sous ces formes diverses, je cherche toujours les plus vives manifestations de l’âme et de la pensée humaine

VILLEM. Littér. franç. 18e siècle, 2e part. 3e leçon.


2° Il se dit particulièrement quand la puissance divine se rend manifeste.

La sortie du Verbe, son progrès, son avancement vers la créature.... est en ce sens une espèce de génération et de production, qui n’est en effet que sa manifestation.

BOSSUET, 6e avert. 72.


Jamais ils [les sectateurs de Zoroastre] ne leur ont offert [aux astres et aux éléments] des sacrifices, ils leur ont seulement rendu un culte religieux, mais inférieur, comme à des ouvrages et des manifestations de la divinité,

MONTESQ. Lett. pers. 67.

3° Mouvement populaire, rassemblement, destiné à manifester quelque intention politique.
Manifestation pacifique.

— des cris sans effusion, une sorte de joie bien sûr, de la lumière au-dessus des têtes, les derniers jours (encore) de l’été, sorte de vacances libres dans lesquelles évidemment rien n’a de prise que le cri, et la lumière, et tout ce qui pourrait entourer l’un et l’autre : mais bien plus que cela, sous la plus haute tour de la ville, pas l’impression d’une posture : en avançant contre le flux, péniblement, presque douloureusement, certitude, oui, que la jeunesse, ça n’existe pas : ni une classe, ni une catégorie socio-professionnelle, seulement une manière d’avancer, de crier, de faire jouer la lumière sur des corps, dans le désir du temps, sous l’ombre pas assez grande des plus grandes tours de la ville —

ça n’existe pas : autant de jeunesse que de corps, et de voix pour le crier, aussi — ils n’étaient pas si nombreux pourtant, mais ce qu’il déplaçait autour d’eux, des regards méprisants des passants et des serveurs aux terrasses, ce qu’ils déplaçaient de lumière quand soudain ils ont fait le tour de la place et sont allés crier plus loin, des slogans que je n’entendais pas tant il y avait de bruit, et de lumière.

Et sous les inscriptions vieilles, plus vieilles que la tour, tour plus vieille que ce pays sans aucun doute, on passait sans rien voir (mais elles sont si hautes, trop hautes ces tours), on ignorait même qu’elles existaient : tant pis : on ira en écrire d’autres dans une langue plus apte à dire et le cri, et la lumière, et le masse de désirs et de corps qu’ils déplaçaient avec eux.



Oisive jeunesse

A tout asservie,

Par délicatesse

J’ai perdu ma vie.

Ah ! que le temps vienne

Où les cœurs s’éprennent !

Arthur Rimbaud, Chanson de la plus haute tour



Chanson de la plus haute tour (Arthur Rimbaud ; Musique : Colette Magny)


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