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le point d’interruption

mardi 1er mars 2011


My Name is trouble (Keren Ann, ’101’, 2011)


Il faut mettre son cœur dans l’art, son esprit dans le commun du monde, son corps où il se trouve bien, sa bourse dans sa poche, son espoir nulle part.

Flaubert (Correspondance)


Réveil violent dressé dans le crâne et tout le jour à passer avec cette image mentale d’un corps autre assis sur le rebord du lit qui regarde sur mon visage.

Faire avec.

Faire sans la suite de ce rêve qui l’aurait achevé, et permis que je l’oublie. J’ai sur les bras cette position du corps penché sur moi, qui se penche encore et qui va parler. Mais je n’ai pas son visage ; évidemment, je n’ai pas le mot qui sort de sa bouche interrompu immédiatement par le réveil : interruption de l’interruption.

Je l’aurais bien déposé là.

Ou plus loin —

Dans la librairie où j’attends une amie qui ne viendra pas, je feuillette la correspondance de Flaubert : je commence par la fin. La dernière lettre adressée à Maupassant, traversée de références bibliques, prosaïques, mondaines, crachant sur la bêtise, écrite dans la vitesse de la pensée accordée comme "une poignée de main à vous décrocher l’épaule", donne un rendez-vous qu’il n’honorera pas — tout Flaubert sur dix lignes.

Avant ces dix lignes, il y a six cent pages de lettres qui disent la recherche de la phrase, du corps à corps avec ce qui est plus fort que soi. J’ai pris le téléphone et me cachant dans un recoin de la librairie : murmurer quelques lignes dans le répondeur — on me répondra qu’on entend que du silence pendant une minute trente. Tout Flaubert dans la voix donnée et déposée, et reçue ?

Je sors dans le froid de novembre, j’ai oublié tout du rêve du matin jusqu’à l’écrire ce soir.