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Tablettes où les livres sont rangés : BNF

samedi 19 mars 2011


images inépuisables de BNF


BIBLIOTHÈQUE
(bi-bli-o-tè-k’) s. f.

1° Collection de livres.
’Il a une très belle bibliothèque.’

La bibliothèque royale, déjà nombreuse, s’enrichit, sous Louis XIV, de plus de trente mille volumes, VOLT. Louis XIV, 31.

2° Tablettes où les livres sont placés et rangés.
’Une bibliothèque en chêne.’

3° Lieu qui sert de dépôt aux livres.
Il passe tous les jours plusieurs heures à la bibliothèque.

ÉTYMOLOGIE — Bibliotheca ; terme dérivé du mot grec signifiant livre (voy. BIBLE), et mot grec traduit par lieu de dépôt et dérivé du verbe placer (voy. THÈSE). Autrefois, au lieu de bibliothèque, on disait librairie : la librairie du roi Charles V.


Journée de plein jour sans la voir : journée passée en bas où sont les livres au dedans de ces grandes tours qui se dressent, là-haut— mais non : je serai, moi, en bas. J’ai appris que la Bibliothèque Sainte-Geneviève est l’une des premières architectures destinées à être une bibliothèque. On a imaginé ces escaliers dès l’entrée pour figurer une élévation vers le Savoir. Ici, au contraire, les salles de lecture sont disposées au fond d’un espèce de trou enfermé dans le béton ; là, on a planté un jardin, des arbres immenses qui semblent petits en regard des tours. Sans doute est-ce pour nous faire éprouver qu’on touche là aux racines de — mais de quoi ? Le jour, lui, en tout cas, ne descendra pas jusque là.

Avant de descendre, on avait grimpé sur des escaliers en bois, et surtout, longer ces longs couloirs sans murs, horizon de sol sans interruption censée aider les visiteurs mais qui le perd dans une sorte de labyrinthe rectiligne — c’est la première énigme.

Impossible de se raccrocher, pour s’orienter, à telle ou telle tour : ce sont les mêmes. Peut-être au ciel dehors ? Mais lui n’est jamais semblable à sa couleur. Me souviens un jour de m’être retrouvé au sommet d’une de ces tours, on aura parlé écriture et photographie, face caméra, avec toute la ville en dessous du haut des livres. Je me souviens, oui, mais c’était quelle tour ? Ce pourrait être chacune d’elle : ce devait être chacune d’elle.

Qu’on ne se penche pas longtemps dans les reflets de ces tours — on tomberait. Les murs de verre font écran aux livres. Et si l’on voulait deviner ce qu’on pourrait lire, à travers toute cette surface qui protège la somme de toutes les sommes, on pourra voir (essayez, un peu) une silhouette de géant. Qui grandit — quand on recule.

Vers l’Ouest, dit le panneau. Attention — je pourrai le prendre au mot. Et continuer jusqu’à la ville derrière, écumante, fumante, crachant tous les nuages possibles — vers l’Ouest, dit-il, et pourquoi pas : plus loin ?

… de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l’épaisse et éternelle fumée de charbon…
A. Rimb.

Ici, quelqu’un a planté sur ce sol de planche : ce drapeau. L’après-midi, je lirai ces phrases qui claqueront plus fortement encore dans le silence de la salle de la lecture au milieu de la Bibliothèque qu’on nomme Nationale — nationaux les livres qu’on y met aussi, et les corps qui se penchent au-dessus ?


« Je veux bien aller à Cuba, si c’est vraiment une révolution selon mes vœux, c’est-à-dire s’il n’y a plus de drapeaux, parce que le drapeau comme signe de reconnaissance, comme emblème autour de quoi on se regroupe, c’est devenu une théâtralité qui châtre, qui fait mourir »

Jean Genet — entretien avec Hubert Fichte.

Le soir, je serai surpris d’entendre la fin de la journée. Je lève la tête — le noir partout, même dehors. Et tout autour, personne. Quelle heure avancée de la nuit ? On m’aurait oublié. Même pas. Quelques photos dans le tremblement de la journée épuisée — épuisée, oui, jusqu’à la dernière page laissée ouverte : et toutes les autres après elles, épuisées aussi.

Je remonte la passerelle, les tours n’ont pas bougé mais la lumière quand je voudrais la fixer danse à côté et en elles.

Fin du jour — derrière moi laissée seul.

Monde aux plafonds à dix mètres, de verrières large comme le dehors, avec jardin aux sous-sols, et qu’on nomme tout cela Bibliothèque (Nationale). C’est une autre énigme.

Dernière photo (avant la prochaine) — ce soir où je les reprends, je réalise qu’il y a quelqu’un dans ces couloirs ; je crois bien que c’est une jeune fille. Je vois bien qu’elle n’est pas pressée. Qu’elle passe ici chaque soir quand le monde est fini et qu’elle reprend possession des couloirs pour ne pas s’y perdre. Ne pas lire les livres au-dessus d’elle, mais aller. Une jeune femme aveugle, oui — Borgès aussi était aveugle. J’ai l’image d’un Borgès aveugle marchant là, touchant la couverture des livres sans les voir : les livres qu’il a au-dedans de lui sont là, aussi. Borgès est une jeune femme qui avance dans les couloirs cramoisis de la BNF après sa fermeture et comme visitant son propre corps peuplé de langues et d’images. Je serai bien ce Borgès ; sans doute, je rêve d’être aussi cette jeune femme : je le suis peut-être déjà, dans ces pages (sur ces pages ?).

Il y aurait ainsi tant de livres que cela pour qu’on leur bâtisse des grattes-ciels, et même qu’on leur donne la forme d’un livre : de quatre livres pliés, posés à moitié ouverts, à moitié fermés, sur la paroi desquelles on voit chacune se réfléchir et se confondre.

Et le soir, demeurer là, dans la lumière la plus insaisissable, la plus inépuisée quand moi je pars.


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