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La Ville écrite | vitesse des mots

jeudi 12 mai 2011

Quel instrument de mesure pour la vitesse des mots ? — ligne Bordeaux-Aix, traversée de toute une ville discontinue, en friche, abandonnée depuis sa construction, c’est certain. Il y a beaucoup de cimetières. Quelques gares. De la mer plus loin. Et à intervalles irréguliers (qui sont le rythme d’une page qu’on tourne), ces cloisons de béton gris dressés sans doute pour protéger les résidences invisibles du bruit des trains : sur ces paravents en ruines, des lettres de couleurs hautes comme des majuscules, insensées comme les codes secrets des temps de guerre qu’on griffonnait à la craie, de nuit — mots dessinés dans l’obscurité de cendre et la peur d’être surpris : illisibles donc. Dans le rapport entre la vitesse du train et celle par laquelle ils ont été exécutés, j’imagine qu’il y a une loi qui rend précisément la lecture possible. C’est peut-être vingt quatre secondes par image, et c’est suffisant pour imprononcer tout cela qui passe et ne dit rien que : le geste de noter, ses initiales codées, des insultes peut-être, qui auraient trouvé le moyen d’échapper à la loi en échappant au langage. À l’image, je découvre que se dessinent en surimpression de ces mots les livres posés à ma place devant moi. Plusieurs vitesses se font face — la terre elle, roule plus vite encore, je crois ; et le train à l’envers, avance, malgré tout, ne sait pas ce qui l’emporte dans l’espace ; seule fixité possible, seul référent acceptable : l’immobilité mouvante du mot à mon passage, figé dans son énigme.


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