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de grands incendies

samedi 2 juillet 2011


Breathless (Cat Power (reprise de Nick Cave), ’The Jukebox’, 1998)

« It’s up in the morning and on the downs
Little white clouds like gambolling lambs
And I am breathless over you
 »


Plus tu auras réussi à écrire (si tu écris), plus éloigné tu seras de l’accomplissement du pur, fort, originel désir, celui, fondamental, de ne pas laisser de trace.
Quelle satisfaction la vaudrait ? Écrivain, tu fais tout le contraire, laborieusement le contraire !

Henri Michaux, (’Poteaux d’angle’)


Temps de grande densité – chaque heure de chaque jour, exige : oh, ce n’est pas faute de vouloir leur échapper : mais enfin (j’allais écrire : de vouloir en réchapper). Cela exige, oui : quelque chose qu’il faudrait appeler un dû, non ? Je leur donne, à toutes les heures de tous les jours. Temps d’écriture – même pas (même pas vraiment : même si : ce travail est aussi de l’écriture). S’ouvre la dernière d’année d’un travail de cinq ans : temps où tout jeter sur quelques pages (trois cent, il paraît) : ce temps commence vraiment. J’ai moins d’un an, il paraît, pour cela : alors tout jeter.

J’ai bien pensé abandonner ces carnets, pour un temps. En fait, non : j’ai pensé qu’il me faudrait, en toute logique, et si j’obéissais vraiment aux contraintes, si je devais jouer le jeu, oui, abandonner mon site et me consacrer entièrement au travail utile : faire de cette année, une année utile, comme on dit. Mais comme je n’ai jamais pris ces notes éparpillées ici comme du temps à côté, comme un exercice de plus, comme un temps consacré ailleurs (il faudrait être ailleurs, pour toujours, de toute manière), je ne comprends pas très bien ce que j’aurais dû abandonner, ni à quoi renoncer.

L’écriture comme exercice qui occupe du temps, cela m’est si étranger. L’amour est une occupation de l’espace : dit le poète. Oui - occupation que je cherche, qui est précisément l’inverse de l’occupation du temps : moi, je cherche de l’espace pour – alors je l’écris ; je veux dire : je l’invente ; comme je voudrais le creuser encore, en moi : ici.

Le temps passé sur ces pages sera pris sur le travail ? N’est-ce pas le contraire ? Pas de temps pris l’un sur l’autre (seulement un contretemps battu aux tempes, encore).

Tout à l’heure, vers Lacanau, circulation bloquée par un incendie gigantesque : au-dessus de la voiture, ballet magnifique, réglé à la minute, des canadairs si lourds et si légers : leur amerrissage, puis les largages à trente mètres : on voyait l’incendie presque rouge depuis la route, et la fumée qui montait. La déviation imposée nous a pris l’après-midi. On a fait le tour du lac à la place, découvert toute cette lande de terre inconnue jusqu’à alors, si loin de la route droite de la terre jusqu’à la mer, embouteillée à ses deux termes.

En travers de moi, il y aurait comme un incendie qui brûlerait ses derniers feux : la folie a perdu d’avance : les canadairs sont trop nombreux, c’est une bataille déséquilibrée. Mais pourtant. Alors que je devrai, je le sais bien, chaque minute, au travail de rédaction, j’ai ainsi commencé cette pièce – idée depuis longtemps, et avec le titre, le reste s’écrit si rapidement – impossible à achever sans. Sans quoi ? C’est l’écriture qui le dira. Ne pas laisser de trace, dit le poète.

En moi, j’ai de grandes brûlures sans cicatrice, large comme une vie ; de grandes brûlures assoiffées qu’aucune eau n’apaise : alors, accepter les déviations, aller.