arnaud maïsetti | carnets

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ce navire à l’ancre

mardi 13 septembre 2011


Ce navire à l’ancre tu peux couper la corde, à quoi sert-elle, quelles attaches, pour quels larges, les larges sont désirables tant qu’on les approche, une fois en eux, ce ne sont que des attaches de plus desquelles se défaire pour quels larges de nouveau — pensais-je alors dans ce milieu moite de la nuit noyée sous cette vie morte, absente, au pli régulier de la nuit où l’on respire sans s’apercevoir que l’on dort, finalement, moins d’épuisement que par habitude : et je me suis endormi, dans le balancement intérieur d’un bateau immobile au milieu de la mer qui parcourt des centaines de kilomètres sans voile ni moteur : rien qu’au mouvement de la marée, aller.

Le large est comme le pire, il n’est jamais certain. Cette phrase au réveil [1] dont je perçois vaguement le comique, le sourire méchant de celui qui sait et se tait, sous l’énigme.

Le large est chaque mètre que je fais, oui – chaque ligne, chaque page, chaque seconde qu’il faut rejoindre : la journée, c’est les ongles qui poussent dans les tombes, les cheveux qui sortent d’une terre aussi moite que ma nuit pour dire : le large est aussi une verticalité qui s’enfonce dans la gorge, c’est un cri qu’on retient pour ne pas tomber, c’est une chute qui se produit sur des centaines de mètres du matin jusqu’au soir, et c’est, aussi, une manière d’approche qui laisse le monde à distance pour mieux le voir, comme on touche la peau d’un corps qui tremble dans la noirceur d’encre de cette nuit de noyade, où se perdent corps, âmes, quoi d’autres : tout le reste qui demeure quand le bateau s’abîme, qu’il ne reste de lui qu’un peu d’écume et de vent.

Je tranche chaque matin la corde d’un bateau pour un large qui se refuse.


[1_Étranges ces phrases du réveil, comme des morceaux d’épaves que la nuit n’a pas suffit à oublier, et qui demeure, en surface, flottants malgré tout, et auxquels il faut régler un compte, comme ici en marge, sans quoi la journée ne passera pas : j’ai un carnet rempli de phrases du réveil, insensées, mortes, ignorantes, que je laisse en marge pour toujours.