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Omnia Sunt Communia | Notes sur l’écriture et la dramaturgie

Une création universitaire

vendredi 12 avril 2024


Omnia Sunt Communia, création universitaire 2024
mis en scène Malte Schwind, assisté d’Isadora Bernard, Justine Dubus et Marthe Ternoy.
Interprété par les étudiants de la section théâtre d’Aix-Marseille université.

Du 24 au 28 avril 2024, Friche Belle de Mai, Marseille

Cette année, je l’aurai beaucoup passée dans l’hiver et le printemps 1525, entre la Souabe et la Franconie, dans les plaines d’Allemagne avant d’être nommée ainsi, parmi les cris paysans jetés par les corps qui se soulèvent, et devant l’ombre de Thomas Müntzer — traquant le théâtre et les mots pour le dire.

J’ai accompagné Malte Schwind dans ce rêve pour travailler à l’écriture et à la dramaturgie de ce spectacle, assisté d’Olivia Oukil.


Voir aussi
 le Prologue de la pièce
 la page des Créations sur IG


Sommaire de la page

— Présentation de la création
— Quelques repères historiques
— Dramaturgie : un processus
— Une écriture de la scène
— Notes d’intention de Malte Schwind, le metteur en scène
— Des images des répétitions
— L’équipe de la création


Présentation

Parce que tout est à tous — pensée scandaleuse —, des hommes et des femmes, paysans, paysannes dans l’Allemagne fangeuse de l’an 1525, comme sorties halluciné·es du Moyen-âge, se soulèvent. Contre les Ducs, les Papes et tous les Princes, ils se soulèvent et soulèvent à eux et elles la vieille poussière des injustices. Un prêtre est parmi elles, eux : c’est Thomas Müntzer. Il est l’un de celles et ceux qui savent dire “Vous ne pouvez pas servir dieu et les riches !”, qui savent rêver la révolution, souffler ce rêve aux persécuté•es, et dont la tête est toujours tranchée pour cela — déclarent la guerre, aux puissants de leur monde, aux puissants de ce monde. Nous racontons cette histoire, que l’Histoire ne raconte pas. Celle d’une Renaissance qui s’éprouve aussi dans les corps en peine, les cris et les colères, sur les toiles qui la disent soudain, et pour toujours : celle d’un temps qui n’est pas accompli, reste encore à venir, et ne perd rien pour attendre. Alors, parce que Tout est à tous, et que cela n’a pas changé, des acteurs et des actrices d’aujourd’hui tentent, de là où ils et elles sont, dans ces habits qu’ils et elles ont découpés, dans leurs colères et leurs peines fabriquées à mains nues, de dire la joie de ces luttes, et qu’elles en valaient la peine, même si la peine est grande. Puisse le désir de retrouver les traces de cette colère, aussi lointaine soit-elle, embrasser encore la nôtre.

Olivia Oukil & Arnaud Maïsetti


En guise de repères

— 1450 : Johannes Gensfleisch zur Laden met au point une technique de production des caractères en métal interchangeables et égaux en plomb, étain et antimoine à l’aide de timbres d’acier coupés, de matrices de cuivre et d’un instrument à couler. Celui qui se fait appeler Johannes Gutenberg fait sortir de son invention des poèmes, la grammaire latine et des lettres d’Indulgence, puis une Bible.
— 12 octobre 1492 : Au petit matin, les Taïnos de Guanahani aperçoivent au large une longue barque emplie d’hommes barbus et blancs Vers midi, ils les verront accoster le rivage, se mettre à genoux et planter une croix sur le sable de leur plage.
— 1493 : Premières conjurations du Bundschuh (du “Soulier à lacets”) : émeutes de paysans contre les corvées jugées abusives, qui prennent naissance dans le sud du Pays de Bade et s’étendent en Souabe, Franconie, Alsace et Alpes autrichiennes.
— 1502 : Bundschuh de Speyer. Les années suivantes, des Bundschue naissent à Brisgau, en Wurtemberg, en Forêt-Noire ou dans le Palatinat.
— 1516 : Matthias Grünewald achève le retable commandé pour le couvent des Antonins à Issenheim. Sa Crucifixion dévoile un Christ en putréfaction.
— 1520 : Martin Luther, prêtre et théologien augustin, défie le Pape : la Bible est pour lui seule source d’autorité légitime, et la foi, seule instrument du salut. Chaque âme est seule face à Dieu. Invention du sujet moderne. Luther entreprend de traduire la Bible en allemand.
— 1521 : Un jeune prêtre, disciple de Martin Luther, prêche en allemand des sermons passionnés qui visent les analphabètes et les paysans, dans lesquels il radicalise la pensée de Luther vers la nécessité d’une révolution sociale. Il s’oppose, comme Luther, à la vente des Indulgences – le rachat par les fidèles de leurs péchés, par lequel se finance largement le Pape. Müntzer est exclu des trois villes où il prêche.
— 1522 : Hans Holbein le Jeune a vingt-cinq ans. Il peint le Christ mort au tombeau à Bâle.
— 1523 : Askia Mohammed, gouverneur régional de l’Empire Shongaï et neveu de Sonni Ali ber, prend le pouvoir avec l’aide des oulémas de Djenné, de Tombouctou et de Gao. Il fonde la dynastie des Askias.
— 1524 : Les Bundschuhe renaissent et éclatent, prennent la forme d’un soulèvement organisé, pour former l’Union Chrétienne de Souabe, comptant bientôt près de 300 000 hommes et femmes. Müntzer rejoint les paysans insurgés en Thuringe. À Mühlhaussen, il instaure un régime radicalement égalitaire.
— 1525 : L’année commence un dimanche
— 20 mars 1525 : Adoption, par l’Union, des Douze Articles : on imprime le texte en grande quantité. Ce programme, à la fois revendications, programmes et manifeste dirigé contre les autorités politiques et religieuses, est considéré comme la première Constitution populaire.
En réponse, Fugger, industriel et banquier, finance une armée de mercenaires en soutien aux ducs.
— Avril 1525 : Les paysans se regroupent, des villes fraternisent avec leur cause. Le soulèvement prend une ampleur considérable. Luther, effrayé devant le trouble à l’ordre public, rejoint les Ducs et écrit plusieurs libelles contre les insurgés. Dans Contre les meurtriers et les hordes de paysans voleurs, il exhorte les ducs à massacrer les révoltés.
— 15 mai 1525 : À Frankenhaussen, l’armée des Paysans conduite par Thomas Müntzer est écrasée dans le sang. 10 000 d’entre eux affrontent, seulement armés de fourches et de pioches, 2 000 cavaliers, 6 000 lansquenets aidés par plusieurs pièces d’artillerie. Les paysans sont massacrés et Müntzer capturé. Il sera torturé et mis à mort le 27 mai.
Printemps 1525 : Les paysan·es du Bundschuh sont traqué·es, torturé·es et réprimé·es. Parmi eux, peut-être Mathias Grünewald.
— 1532 : Rabelais écrit Pantagruel.
— 1526 : Échec de Lucas Vázquez de Ayllón dans sa tentative de colonisation de la Floride. Le 9 août 1526, le plus grand navire de l’expédition heurte un banc de sable et coule.
— Nuit du 1er au 2 novembre 1975 : Pier Paolo Pasolini est assassiné sur la plage d’Ostie, près de Rome.


Dramaturgie : un processus

Commencer par écouter l’Histoire. Relire d’abord les sermons de Müntzer, les lettres furieuses de Luther, les documents paysans qu’a exhumé Maurice Pianzola. Chercher non à reconstituer l’Histoire, mais à prendre de nos nouvelles. Constater que les nouvelles ne sont pas bonnes. Et puis, puiser dans les textes d’Ernst Bloch, de Walter Benjamin et de de l’historiographie théologique de la Révolution les perspectives à la fois mélancoliques et messianiques propres à faire du passé une matière vivante, toujours vibrante, qui appellent. Et s’en défaire. Arracher à la gangue du savoir la poussière oublieuse : leur trouver des adresses. Lever un lieu : une taverne, où se deale l’art et la mort et se rejoue incessamment les contradictions où la communauté s’affronte à ses désirs, où elle les accomplit aussi. Trouver dans la brume moyenâgeuse des pioches et des pelles capables d’en percer la surface. Voir surgir, depuis cette brume, la Renaissance. Écrire mot à mot cette conquête du sujet. Regarder longuement des toiles : celles qu’ont commis Grünewald, Cranagh, ou Holbein, tant d’autres où pour la première fois le Dieu glorieux avait la peau croutée des corps laborieux, le visage de peine, de la terre sous les ongles. Dresser depuis ce regard le champs de force dans lequel les corps sauront s’arracher eux même pour s’appartenir, appartenir à la commune appartenance d’une humanité égale en dignité, en droits, et en désirs. Recommencer.

A. M. 


Écritures de la scène

Trois espaces frottent les uns contre les autres.
— Il y a le champ de bataille de l’Histoire, celle de cette Guerre des Paysans que racontent si peu les livres en dépit des traces dans les mémoires vives des luttes : drame où passent des figures qui ont vécu, souffert, ont été écrasé parce qu’elles osèrent réclamer la dignité de vivre.
— Il y a le territoire de la langue où puiser dans les visions et les images, les forces capables de conjurer le passé défait.
— Et il y a le théâtre : celui des farces affreuses et libres, terribles comme le rire,
brutales et douces, comme le rire.

Ces trois espaces dialoguent ou s’insultent, naissent les uns des autres.

Le drame des paysans vient percuter les paroles vengeresses de la Bible ou de Pasolini, de Genet ou de Dostoievski — et c’est peut-être l’inverse —, paroles qui sont traversées par la scène secouée de spasmes de la geste révolutionnaire paysanne, jetée jusqu’à nous comme en défi. Par-dessus, comme en travers de la gorge, les tréteaux bouffonnent la joie d’être vivant, l’insolence de renverser l’Histoire en histoires à jouer pour défier la mort.

A. M.


Notes d’intentions du metteur en scène

La naissance de notre monde est jonchée de cadavres. En 1525, 100 000 paysans furent massacrés dans une brutalité sans nom. Ils s’étaient levés pour demander un peu de justice en ce bas-monde. C’était la Guerre des Paysans, première révolution sociale de la modernité, réprimée dans le sang et dont la répression fit taire tout espoir d’un monde plus juste en Allemagne pour des siècles. On en appelait à la justice divine sur terre, les ducs répondaient avec l’épée et les canons, les capitalistes naissants, les Fugger et compagnies, triplaient leurs profits. Martin Luther servait d’idéologue nationaliste contre le pouvoir papal qui faisait concurrence au marché des indulgences de Frédéric le Sage.
En face, il y avait Müntzer. Face à l’apocalypse, face à la fin du monde si proche, Müntzer voulait, contre la fausse foi et les impies, créer le royaume de Dieu sur terre.

Il y aura une multiplicité de textes, de formes et de genres hétérogène. Nous avons ainsi travaillé, à partir de ce montage, des théâtralités et des jeux très différents. Nous avons voulu tirer du Moyen-Âge finissant la farce, la bouffonnerie des tréteaux, le rire d’un Rabelais. Nous avons emprunté à Müntzer la radicalité du cœur. Au prout du cul pourra répondre le chant du salut. Le cul parle autant que le cœur, même si différemment. On entendra. On ne saurait nous tromper.

Notre théâtre voudrait être à la hauteur de l’évènement historique, c’est-à-dire celui de faire un théâtre absolu. Parler de théâtre absolu, c’est dire qu’il n’y a rien de plus important, c’est croire que par là peut se décrocher quelque chose qui serait le plus précieux du monde, peut-être dans quelque chose qui m’excède, dans ce qui me dépasse. Et peut-être dans ce dépassement de soi pourrons-nous nous découvrir, comme enlever ses couvertures, sortir de soi et, si Dieu le veut (mais il ne voudra pas), ne plus jamais retourner à la maison.

Les paysans voyaient haut, tous les révolutionnaires voyaient haut, et au-delà. Ils étaient prêts à en mourir, ils avaient donc une raison de vivre.

Il nous a fallu des costumier·ère·s, des accessoiriste·s, des éclairagistes, et des ingénieur·e·s du son. Et des peintres, constructeurs et scénographes pour que les acteurs et actrices puissent dire ces mots parfois vieux de 500 ans. L’hypothèse, c’est qu’ils soient toujours capables d’agir sur nous.

Malte Schwind


Images des répétitions

(Par Louane Lévi)

(Par Lana Beneteau)


L’équipe de la création  [1]

— Mise en scène — Malte Schwind
Assisté par Justine Dubus, Isadora Bernard et Marthe Ternoy
— Dramaturgie — Arnaud Maïsetti
Assisté par Olivia Oukil
— Scénographie — Lucie Escande et Timothée Olive
— Costumes et vidéo — Lucie Escandes, Gwenn Roulin et Louve Quirin
— Création Lumière — Charline Fabri
— Création son — Zélie Hénocq
— Production — Louane Levi
— Communication — Chloé Beneteau
— Médiation — Chloé Beneteau, Noah Grand et Louane Levi

La distribution

- Les messagers —
— Leila Berbille : Saint-Jean / Susanna
— Camille Paulhe : Pasolini / Pianzola / Ottilie
- Les paysannes —
— Louise Bonnemaille : Petra / Le messager
— Maurine Bouyala : Joss Fritz
— Manuela Castaño : Jakobea / Tavernière
— Marion Challet : Strauss
— Hoëla Dorsaz : Grünewald
— Victoria Gutierrez : Judith
— Daly Joe : Sieglinde
— Alizée Magnan : Rebekka
— Gwladys Marcorelle : Abigail
— Angèle Mourle : Esther
— Amandine Ricci : Johanna
- Les comédiens de la troupe des Pouvres Diables Joyeux Amys et Compeyres Du Desastre —
— Kendal Benaouali : Chevalier Jöns
— Romane Gastebois : Jof
— Alric Gaudin : Plog
— Lisa Taubaty : Mia


[1Malte et moi avons accompagné les étudiants de la section théâtre d’Aix-Marseille Université : les assistantes sont en Master Arts et Scène, et l’équipe artistique et technique est composée d’étudiant·es de DEUST et de Licence Théâtre.