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le mot silence est encore un bruit

[Journal • 2.08.22]

mardi 2 août 2022


[…] nudité, sombrer, supplications sont d’abord des notions ajoutées aux autres. Bien que liées à l’élusion des faux-fuyants, en ce qu’elles étendent elle-même, le domaine des connaissances, elles sont réduites elles-mêmes à l’état de faux-fuyants. Tel est en nous le travail du discours. Et cette difficulté s’exprime ainsi : le mot silence est encore un bruit, parler est en soi-même, imaginer connaître, et pour ne plus connaître, il faudrait ne plus parler.

Georges Bataille, L’Expérience intérieure [1943]

Le vent est devenu tout entier cet air chaud et immobile, inutile et lent dans quoi chaque geste s’allonge, s’épuise déjà, brutalise ce qui n’a pas de consistance et qui pourtant résiste — la mer bat tout près d’ici, mais elle est aussi chaude que le ciel, les profondeurs de même souffrent de cette chaleur qui s’installe désormais pour toujours : le temps où nous entrons n’aura pas d’autres fins, on se souvient du froid comme des dieux, sans tristesse mais avec sagesse, gravité, et certitude que la fin est arrivée — un jeune enfant près de la plage hier demandait à son père s’il pourrait voir des éléphants dans l’eau, et le père avait l’air si triste de lui répondre non, mais l’enfant était soulagé : « je pourrais mieux les imaginer si je sais qu’ils ne sont pas là » – et l’enfant a rejoint le sable et ses pensées.

La couleur des feuilles des platanes, en août : plus vraiment vertes, pas encore jaunes — le soleil laisse le soir sur elles cette poussière d’or comme une promesse, comme une violence d’avant les derniers jours ; on est décidément plongé dans les derniers jours et c’est pourquoi aussi on traque plus désespérément encore le moindre signe de commencements dans les rêves ou au matin, jusqu’au soir peut-être dans les cris d’un insecte, ou le surgissement de la première étoile.

Rien ne nous consolera plus de rien — et tant mieux ; Heiner Müller lâche dans un entretien, avec un sourire terrible que nos espérances sont remplies de craintes : oui, il faudrait renoncer à toutes forme d’espoir, se confier à la désespérance pour n’avoir comme horizon que le désir de nos marches qui s’enfoncent là-bas où le ciel se couche et se lève dans le même mouvement.