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Écosystème numérique | écrire avec et dedans
mercredi 19 avril 2017
Écosystème numérique de l’écriture : le mot, lancé par François Bon, est une belle invitation à se plonger dans les arcanes de son organisation intérieure, parfois intime, fruit d’arrangement avec le réel, d’un compromis avec nos propres incapacités à organiser le monde et le travail. Pures notes anecdotiques ? elles tentent de fixer un ordre à ce qui n’en a finalement pas, chaos qui cherche un mode d’organisation qui, à défaut de structurer le travail et l’écriture, permet au moins d’y faire face. Je me souviens que Marc Jahjah l’an dernier à Montréal nous avait dit qu’il désirait travailler sur les « habitudes » d’écriture sur le web. Il n’y a peut-être pas d’habitude : seulement une façon de s’établir dans le chaos et de lui trouver des lois qui ne vaudraient que pour soi, une éthique peut-être, mais minuscule, celle qui cherche dans la surface plane d’un écran des profondeurs où la vie vécue, réelle, administrative et sociale, intime, politique, imaginaire et fictionnelle se mêlent sans se confondre, s’articulent à un temps qui passe toujours sur nous comme le ciel.
Autres écosystèmes :
— François Bon sur Le Tiers Livre
— Emmanuel Delabranche sur Peine Perdue
— Coline Pierré sur Sédiments
…
peut-être en septembre ou en août, dans un grand magasin place de la Nation, un Toshiba à coque bleue, sous Windows 98 : 2005, premier ordinateur personnel – les machines étaient encore lourdes, mais impression pourtant de légèreté en comparaison de l’ordinateur central des parents à Rennes : j’écrirai sous Word cinq ans [1], avec cette pensée qu’à vingt ans, la découverte de la ville (je m’installe dans le cœur de Paris, quartier du Sentier, après trois ans de khâgne et d’internat à Sceaux) se superpose avec celle de l’écriture, et que cette écriture était nativement numérique, de là cette collusion qui ne cessera pas pour moi entre la ville et l’écriture, où l’une était nécessairement l’image de l’autre, et inversement, mais quelle image, ce sera toujours l’énigme, celle qui incite à écrire, par exemple un mémoire de maîtrise (ce n’était qu’un prétexte à écrire la ville), ou un récit qui en sera une sorte de réécriture dans les termes mêmes de la ville, « Où que je sois encore…, accueilli par François Bondans la collection qu’il dirigeait au Seuil, en février 2008 –
écrire sur cette machine bleue nuit, dans un bruit de ventilation assourdissant (la nuit, les étés 2006 et 2007, fenêtre grande ouverte pour laisser passer un peu de fraîcheur sans quoi le portable rendait les armes et s’éteignait brutalement), avec iTunes ouvert sur de la folk ancienne, Thunderbird pour les mails, et Firefox, mais usage rudimentaires : j’ouvre un blog un an après l’emménagement, en octobre 2005 (premier post le 15 octobre 2005), anonyme, sous blogspot, que j’appellerai Après les nuits, sur lequel j’écris jusqu’en février 2006 (dernier post le 19 février 2006),
et en juillet (je ne sais pas ce que je fais entre février et juillet), j’ouvre un second blog – toujours sous blogspot, avec même modèle –, Contretemps, sous mon nom en URL, avec cette fois des images que je prends avec un petit appareil photo numérique, un bridge premier prix, avec lequel je passe les nuits autour des Halles, dans Montorgueil et près de Saint-Eustache,
le dernier post sur le blogspot est daté du 12 juin 2009, mais à cette date j’avais déjà ouvert depuis quelques mois un site sous spip (impossible de retrouver la date exacte du premier post, puisque quelques années plus tard, après fausse manipulation, ma base subira un crash qui m’obligera à réinstaller plusieurs centaines d’articles à la main, dont je supposerai les dates rétrospectivement) – au cours de l’année 2008 donc, j’avais sous le conseil de François Bon rapatrié sur un seul espace spip le blog avec le site où je déposais fictions numériques, textes critiques, images, quelques vidéos, et où j’ouvre des rubriques comme autant de labyrinthes intérieurs dont j’ai moi seul la clé (et encore) –
à l’été 2008, l’autre bascule, contemporaine de la fabrication du site (forgé à partir des squelettes de Julien Kirch pour Remue.net, modifié grâce à l’aide de Benjamin Renaudpuis de Philippe Coutelle [2] pour la page d’accueil (sa formule : « le code, c’est une demie heure par jour ») - reconnaissances et gratitudes infinies), l’autre bascule donc, c’est l’acquisition d’un MacBook, le vieux Toshiba (il aura été immédiatement vieux) n’ayant pas survécu au concours de l’agrégation, mais aura eu la dignité d’attendre le dernier jour des oraux pour définitivement lâcher prise (entre les écrits et les oraux, un méchant virus m’aura valu de m’enfoncer rue Maire chez les réparateurs magiciens de Petit Pékin [3]), avec le MacBook, beaucoup de choses changent, et d’abord le passage irrémédiable vers Pages, l’utilisation de iCal, de Mail, de iPhotos, et un apprentissage plus discipliné du code,
de 2008 à 2013, l’écriture sur ce MacBook, c’est le site et la thèse, rien d’autre - ce n’est pas vrai, il y a aussi ce récit parallèle, une sorte de continuation du premier récit, État des lieux du réel, quelque chose d’un peu monstrueux et sans doute d’illisible, je ne sais pas, il reste dans un tiroir (du site) –, et ce sera aussi le train : vivant à Pau un an, puis à Bordeaux trois ans, mais chargé de cours à Paris, je ferai deux fois par semaine les heures de train allers et retours (passage à Angoulême avec toujours une photographie rituelle et une pensée pour Balzac), un sas dans la vie et l’écriture – déposé dans un livre court à l’invitation de Jérémy Liron, ce sera La Mancha publié à la Nuit Mytride, né de ces trajets en train autant que des photographies de Jérémy L. –
les ordinateurs survivent aux années mais pas aux textes qu’on s’acharne à aligner une ligne après l’autre : quelques semaines avant le dépôt de la thèse, mon MacBook flanche, il tiendra jusqu’au bout à peine et s’effondre sitôt les milles pages achevées (ce sera tant pis pour la relecture), en novembre 2013, acquisition d’un MacBook Air, et à cette date, je dépose tous mes fichiers sur DropBox – jusqu’alors j’accumulais les disques durs externes, mais cette fois, je n’en conserve qu’un seul (1 To - pas de sauvegarde Time Machine, devrais-je ?), et livre tout sur la Box,
c’est sur ce MacBook Air de 2013 que j’écris ce texte, sous Pages (avec modèle que j’ai créé : Garamond ; font 14 ; interligne 1,3 ; 5 pts après le paragraphe ; marge 4 cm à gauche et à droite), sans iTunes que je n’utilise plus depuis 2015 : avec le forfait de mon téléphone portable, j’ai un accès à Deezer qui a remplacé peu à peu la lecture physique de la musique (je n’achète que très rarement des CD, que je n’écoute qu’en streaming quoi qu’il en soit), Mail conserve une mémoire de mes échanges (je peine à faire le tri, et jamais parvenu à tenir à jour des dossiers : tout est là en vrac, et la fonction recherche m’est si précieuse), le Calendrier est mon autre mémoire, mais depuis peu, Apple ne conserve que les six derniers mois, et je perds la mémoire à cette mesure, finalement, la seule mémoire fiable de mes jours sont les images que j’accumule et archive sur disque dur le premier de chaque mois (images prises avec l’iPhone déposées automatiquement sur DropBox – mais forfait 99Go pas assez large pour les accueillir toutes),
c’est l’autre outil, peut-être aussi important que le Mac, pour le travail et l’écriture : le téléphone est la machine qui prend les images essentielles pour la mémoire vive des jours, la synchronisation des calendriers et des mails, la musique – et fort usage des podcasts d’actualités pour me relier un peu au chaos qu’organise le monde –, je compte trois iPhone depuis 2011, j’en aurai perdu plusieurs sous la pluie, et à chaque fois c’est le même qui réapparait : la synchronisation par le cloud libère finalement paradoxalement de l’attachement à l’objet, quand bien même c’est l’objet qui porte toutes nos données : c’est que l’objet est moins une machine qu’une interface, et c’est pareil pour l’ordinateur : je sais que s’il devait être englouti par un orage (j’écris ce texte dehors, face à la plage de Pointe Rouge sous un ciel un peu menaçant), je retrouverai tout immédiatement,
en témoigne l’iMac que je possède depuis l’été 2014, grande surface pour le travail plus dense dans la chambre / bureau, quand le MacBook Air est destiné au travail mobile, à la fac ou dans les tains encore : et qui porte exactement les mêmes fichier que le petit MacBook Air [4]
parenthèse : outre le nom de domaine ici, suis propriétaire sur OVH de deux autres : soulevements.net et affrontements.net (sous ce dernier, avais écrit un récit publié ensuite chez Publie.net) – ce sera pour l’autre vie, peut-être ;
c’est le seul bilan finalement que je peux faire : avec les années, j’ai fait en sorte d’être moins dépendant de la perte physique des machines, quand bien même tout le travail d’écriture ou universitaire est dans la machine (je possède quelques carnets pour les notes que je prends dans les théâtres sur les spectacles que je vois, mais c’est tout), mon carnet de note est l’ordinateur, avec Pages pour l’écriture, Notes pour l’écriture brouillon ou saisir à la volée des phrases, Deezer, Twitter pour le carnet numérique sur lequel je dépose surtout des images, synchronisé avec Instagram (un peu de mal à séparer les deux réseaux, à avoir un usage autonome de Instagram), Facebook – pas d’usage privé, j’y compte peu d’amis et ne connais réellement que moins d’un tiers de mes contacts, d’ailleurs, je ne trie pas les demandes d’invitations, et n’en adresse aucune – ne me sert qu’à déposer les liens des textes écrits sur mon site, site qui est mon seul carnet véritable, avec le journal/Blog, mes chantiers de fiction, de critiques, de photographies, des notes sur le web, et des textes épars dont je tâche de trouver à mesure une organisation qui m’échappe (j’ai ouvert un Tumblr que je n’alimente plus, mais envie de l’insérer dans le site parc que me plaît l’idée d’inclusion successive, il faudrait que je trouve une solution) –
et dans ce labyrinthe, entre présence physique et virtualisation dans le Cloud (je n’utilise pas le Cloud proposé par Apple, mais réflexion en cours), l’écosystème s’est stabilisé mais se reconfigure à chaque texte, la jungle s’organise via sa propre expansion, même minuscule, où la centralisation du site n’est qu’une façon de s’inventer des corps aberrants, des lignes de sorcières, et des perspectives qui donneraient intensité, plutôt que sens, dans nos jours.
Tout ceci n’étant valable que provisoirement.