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La ville écrite | [a]mour

[j]amais

mardi 28 novembre 2023


Finalement, ce n’est pas tant l’amour qu’il nous faut peut-être réinventer, mais la grammaire, la syntaxe, et toute l’orthographe par-dessus le marché — à moins que, de ce côté du siècle et de l’effondrement, nous soyons désormais incapables de déchiffrer l’évidence et qu’à la place des mots dressés en hautes et intelligibles lettres d’or, nous ne savons plus lire que des vides.

D’un gouffre à l’autre, nous sautons comme si c’étaient des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et nous voudrions danser mais nous tombons infiniment dans les crevasses qui sont dans les mots, entre eux, et qui sont les mots mêmes, où s’effondrent nos désirs.

Nous aimerions que l’amour ne soit pas seulement ce mot sali tant et tant de fois par ceux qui s’en réclamaient pour justifier les coups et les crachats ; nous voudrions que l’amour ne soit pas ce cadavre massacré à mains nues et laissées sous un porche à moitié morte — nous nous souvenons, parfois, qu’il portait autrefois en lui une réalité aussi pleine et crue que la lune le soir quand on marche sous elle et qu’on est seul à être deux.

Nous voudrions compléter le vide, on n’ose pas : on le fait intérieurement [1].

Il est juste qu’en passant ce passant se soit mis à arracher ce mot comme on crache, comme on frappe, qu’on hurle son pouvoir de maître : il est juste qu’en regardant le mot déchiré, on pense à ce qu’est l’amour, de nos jours, ce prétexte à imposer son pouvoir : que s’il a été bien réinventé, ce n’était pas dans le sens qu’on imaginait, le soir, les poches crevées sous la Grande Ourse.

Oui, il nous faudrait un autre mot pour dire cette faveur qu’on accorde à l’abandon, la grâce de quelques heures échangées dans le jour plein de minuit, l’enfance d’être à l’autre : on ne possède aucun autre mot ; on est seul, on a froid ; on traverse la route et on cherche un abri qu’on ne trouvera pas.


[1On ne tue jamais par amour