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Koltès | 1981, La Nuit… de J.-L Boutté et R. Fontana
mardi 23 janvier 2018
Pour accompagner la parution en février du récit biographique sur la vie et l’œuvre de Bernard-Marie Koltès, chaque jour une vidéo, un enregistrement ou une image autour du dramaturge.
2018 - 1948 : Koltès aurait eu soixante dix ans cette année, mais on est trente ans après sa mort – nous sommes décidément contemporain d’un passé arraché. Ces prochains jours, j’aimerais revenir vers ce qui fait cette vie, et cette œuvre et sa pensée. Pour commencer, ouvrir sur un commencement qui n’en est pas un ; comme toujours avec Koltès, les commencements sont toujours des pas en avant, des fictions, des rêves et leurs réécritures.
Il dira plus tard que tout a commencé là. Par cette pièce. Et pour beaucoup aussi, on apprit le nom de Koltès avec ce texte, ce monologue qui fait violence au théâtre, à la langue, à notre présent. 1981 est cette naissance. Pourtant, à cette date, Koltès a déjà écrit plusieurs pièces, entre 1970 et 1974, qu’il a montées à Strasbourg avec ses amis du Théâtre du Quai, sans rencontrer d’échos. Et puis un film, en 1974 (La Nuit perdue), un roman (La Fuite à cheval très loin dans la ville), autour de 1975. Sans plus d’échos. Secrètement, puissamment, il y aura eu ensuite la bascule de l’année 1978, les voyages qui sont des chocs et des révélations au Nigeria en janvier et février, et en Amérique Centrale l’été et l’automne : l’écriture de Combat de nègre et de chiens. C’est cette pièce que Chéreau l’année suivante lira et décidera de monter. Avec lui, le changement d’échelle sera considérable.
Mais un an avant 1978, le printemps 1977 est une autre naissance (il y en a tant). C’est l’écriture miraculeuse de La Nuit juste avant les forêts. Il faudra revenir sur ce miracle. L’été 77 est à Avignon où Koltès pour la dernière fois met en scène un de ces textes : ce cadeau affolant à l’acteur Yves Ferry. Alors les années suivantes, quand Koltès fait lire son travail, ce n’est pas seulement Combat de nègre et de chiens, mais c’est aussi La Nuit juste avant les forêts – dans l’exemplaire Tapuscrit que publie Lucien Attoun, un format entre le manuscrit et la véritable édition. Chéreau lit d’ailleurs les deux textes, ne comprend rien au monologue, et se jette sur la pièce plus allégorique, plus fabuleuse de Combat qui répond aux modèles qu’il connaît et domine tant.
Un jour de 1980, le jeune acteur Richard Fontana qui vient d’être reçu à la Comédie Française se rend chez Chéreau : il cherche un texte à jouer. Chéreau lui tend le texte de cet auteur inconnu. Fontana est fasciné. Il demandera à son ami, Jean-Luc Boutté de le diriger.
On est au début de l’année 1981.
Dans la salle du Petit Odéon – qu’occupe le Français pour faire entendre des formes contemporaines –, le nom de Koltès est à l’affiche : c’est la première fois, à Paris. On sait déjà que son prochain texte sera monté par Chéreau – alors l’un des metteurs en scène les plus importants en France et en Europe – et on se montre curieux. C’est le moment des premiers entretiens, des premiers malentendus : Koltès va commencer à raconter sa propre légende. Peu savent que ce texte a déjà été jouée, à Avignon, quatre ans auparavant. Beaucoup sortiront de la salle sûrs d’avoir entendu là une voix à nulle autre pareil.
Il y a les choix que font Jean-Luc Boutté et Richard Fontana : les miroirs qui renvoient directement à ce dont parle le texte (l’homme qui parle a la hantise des miroirs), mais réfléchissent aussi la parole, son vertige, ses reflets. Et dans la virtuosité effrénée de l’acteur, une façon de jouer en excès la violence, le désir, la joie d’enfance, la terreur urbaine de nos jours.
On lit toujours l’œuvre de Koltès depuis un regard déterminé par notre entrée en elle. Pour moi, ce sera toujours depuis l’adresse éperdue de La Nuit juste avant les forêts. Je lirai les autres textes dans la lancée de ce lyrisme rageur, d’une tendresse intraitable, d’une vitesse folle.
[1]
Richard Fontana sera emporté en 1992 à 41 ans – l’âge de Koltès – , par le SIDA. Jean-Luc Boutté survivra trois ans à son ami.
Reste quelques mots, des gestes, la férocité joyeuse de dire ce qu’on ne peut pas dire, ici, puisqu’il faudrait être ailleurs – et tous les mots qu’on adresse pour le dire malgré tout, les regards comme les silences.