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Le Radeau | Présences communes
Onzième
mardi 3 janvier 2012
tu as été créé pour des moments peu communs / modifie-toi disparais sans regret / au gré de la rigueur suave / quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit / sans interruption / sans égarement / essaime la poussière / nul ne décèlera votre union.
René Char, Commune présence
Entrer dans une œuvre en mouvement, c’est toujours prendre le risque d’être emporté dans ce mouvement sans pouvoir se saisir de l’œuvre autrement que dans l’impression vive de son expérience directe – ne voir de son mouvement que sa fabrication et non son élan : c’est pourtant accepter l’occultation de ses lames de fond qui la déplacent, pièce après pièce pour mieux rejoindre l’instant de son déplacement.
Voir un spectacle du Radeau pour la première fois, aujourd’hui, et en parler, dans l’angle mort de son histoire, tiendrait à la fois du handicap et du privilège : handicap tant on pressent, puissamment, combien l’on fait face à un fragment d’une masse prenant appui loin en arrière et dont on ne perçoit que la tête de proue ; privilège car l’on se tient dans le neuf de son surgissement jeté en avant, en sa présence, origine absolue et devenir confondus en un geste comme délié de tout passé fabricant son histoire dans sa propre révolution. Puisque cette présence est précisément ce qui en fait son prix, c’est assister à cette totalité organique qui se compose sous nos yeux, charriant tout en elle sans qu’on puisse déceler ce qui tient de l’histoire des spectacles antérieurs ou de la production de son spectacle actuel, comme si les deux étaient mêlées, et l’on pressent combien chaque pièce endosse dès lors la charge de toutes les précédentes – de là cette force motrice, un spectacle propulsé par la vitesse et la masse cumulées de près de trente ans de scènes.
Être libéré de la tâche de comparer, par la force des choses — de faire comparaître Onzième au tribunal de ses prédécesseurs — permettrait peut-être de saisir, pour une part, sa qualité de présence : sans nier que ce spectacle se situe dans une courbe et pris dans un tracé lui-même en mouvement, il est aussi possible d’en parler au présent, en sa présence immédiate, justement en raison de la dynamique interne qui le fabrique et rejoint l’expérience de sa lecture : cette faculté à produire des images au présent d’une énonciation toujours recommencée et neuve, dans ce lieu du plateau qui le fabrique comme à mesure de son élaboration. Dès lors, le plateau ne cesse d’être le lieu qui se fabriquant, délivre continuellement du présent, au sens où il s’en arrache et où il le produit, nous le livre tel qu’en lui-même, éclats de phosphore où la durée elle-même est une présence continue : « l’éclair me dure » (R. Char).
D’emblée, se défier d’un autre piège : celui de ne pas s’autoriser à parler de Onzième sous prétexte de la surexposition de l’expérience visuelle et sensorielle proposée. Parce que le spectacle chercherait l’immédiateté de la sensation, on ne saurait l’approcher dans l’écriture sans l’altérer ? Combien d’articles critiques qui posent d’emblée comme préalable l’impossibilité de parler de ce spectacle, et qui ne feront que décrire l’impression de l’immédiateté… Au contraire, il faut redire combien ce spectacle appelle : appelle au partage, à l’écriture, à localiser en soi et dans le monde les lieux atteints, rejoints, mordus comme des rives ensuite laissés dans l’absence de mer, qui conservent sa trace. Il faut redire comme l’écriture est non seulement possible, mais essentielle dans l’expérience du spectacle, puisqu’elle rend de nouveau présente la présence invoquée, élaborée, confiée. À l’écriture ensuite de la redisposer, d’en disposer pour mieux en retour rejoindre ces territoires du monde et de soi de présence recommencée.
Le premier geste de Onzième inaugure cette présence en renversant ses lois – voir l’ensemble des comédiens venir sur scène pour franchir un seuil à reculons, dos tourné à la salle, passer l’encadrement d’une porte sans porte — ou fenêtre sans vitre ? —, c’est être initié à une configuration du temps, de l’espace et des corps à rebours de la réalité conventionnelle. Dès lors, la réalité devient une convention dont il faut se défaire pour entrer de nouveau dans une perception neuve d’un réel aux lois de franchissement propres.
Cette naissance du théâtre qui repasserait dans le ventre déchiré du réel qui lui a donné naissance pour se faire jour, on y assiste en ce début dans une disposition de l’espace et du temps qui sera celle qui régira tout le spectacle. Un corps après l’autre investit un plateau resserré envahi de tables, et chaque corps le diminuant augmente alors l’effet de présence sur scène : cinq, dix, quinze acteurs se pressent dans la lenteur de mouvements précis, cette marche à l’envers pour franchir le seuil de la représentation – file qu’on dirait ininterrompue initie d’emblée un mode de perception qui dit moins le retournement des choses que le bouleversement des forces, une manière de franchir de nouveau l’envers du décor pour mieux en prendre possession, et nous le montrer, comme on fait l’état des lieux d’un nouvel espace, on recense aussi les forces en présence, on branche la machine aux énergies essentielles avant de la faire fonctionner.
Effet de cadrage-débordement : là où on exhibe le cadre, on s’y dérobe : là où on montre un endroit où passer, on le franchit de dos ; là où on se donne la possibilité d’un début, on désigne ce qui le précède. Surtout, la scène se construit dans un excès sensible : le plateau occupé par les présences nombreuses, trop nombreuses pour lui, des comédiens rassemblés dans un espace sans espace, s’expose dans le foisonnement qui montre l’antériorité de cette présence : comme un monde déjà occupé autrefois, il n’y a pas si longtemps, sur lequel on prend appui pour le déplacer et renouveler – pour l’inventer encore. Au plateau déjà plein de ces objets sans fonction et sans nature, table sans chaise, porte sans battant, paravent sans dehors, répond le vide palpable d’un réseau de signes dans l’attente qu’on vienne l’habiter pour le faire parler – puisqu’ici nommer sera donner une fonction aux êtres et aux objets, aux mots eux-mêmes, aux réalités innombrables qui vont être convoquées. Marche de l’écrevisse aux commencements de la représentation – même si ce prélude figure sans doute l’amont de toute représentation : l’entrée en matière est une manière de sortir du cadre, de décadrer l’illusion de la représentation.
Mais avant cet amont du début, dans l’attente des acteurs, on se retrouve longuement, devant le plateau nu – on ne le sait pas mais la pièce avait déjà commencé, du moins en nous, dans l’intermonde de cet espace du théâtre avant l’acteur, et après le franchissement de la porte du théâtre. La pièce avait déjà commencé et on ne le saura qu’après, lorsque les acteurs entreront : la pièce continuera, on comprendra que le temps qui avait précédé, dans la lumière et le bruit des conversations du public, appartenait déjà tout entier à elle. La vie aura été l’appel du spectacle et l’élément de son inauguration. Sans solution de continuité, le temps de la vie et celui du spectacle auront produit l’un et l’autre, été produits par l’un et l’autre, sans qu’on sache lequel de l’un et de l’autre aura été antérieur, l’origine ou la conséquence, précisément dans ce début toujours déjà commencé, cet élan qui s’actualise continuellement en soi et devant soi.
Le plateau nu et plein se dressait déjà dans le foisonnement de signes et d’évidences : des tables alignées, des cadres, portes dont il ne reste que le contours, disposés dans le désordre soigneusement agencé d’un chaos établi là dont on devine les lois secrètes sans pouvoir les déchiffrer. Ce chiffre sans code, machine immense comme jeté dans un désordre précis, figure d’emblée l’image d’un agencement machinique et vitaliste : de la machine, il tient une part de son abstraction, sa disposition géométrique, alignements qu’on devine espace de concentration de champs de force ; de la vie, il possède l’aléatoire sensible de l’éparpillement, la vitesse et la multiplicité des reconfigurations possibles qu’on devine déjà, le mystère aussi, une beauté immédiate et évidente qui la désigne et empêche toute illusion de représentation, allégorique ou référentielle.
La scénographie ne cessera d’agir et de se modeler, de reconfigurer perpétuellement les champs de force et les beautés pour empêcher tout arrêt du sens et de la référence ; pour interrompre toute assignation que le tableau aurait pu susciter. Les acteurs, depuis l’intérieur du spectacle donc, seront là pour déplacer telle table, agrandir le plateau, déplacer et réinventer l’espace, dans les jeux d’ombres multipliant les corps sur les paravents qui loin d’arrêter élèvent les spectres d’acteurs au-delà d’eux-mêmes, en dehors d’eux-mêmes. Ce geste de disposition perpétuel de la scénographie et de la recomposition des lumières, qui n’est pas celui de technicien chargé, pendant les moments d’interruption d’une pièce, d’organiser les fondus-enchaînés comme si le théâtre avait cessé quelques instants avant de reprendre, dit bien la durée continue d’un temps coulé en lui-même, qui est le rythme de ce spectacle aux accélérations vives et aux ralentissements puissants, mais qui ne supporte aucune vacance, aucune intervention du dehors. Sa discontinuité est toujours théâtrale, c’est-à-dire, produite par le spectacle et en son sein.
Le plateau s’ouvre pour laisser apparaître de fausses profondeurs de champ : un paravent coulisse, un cadre se déplace laissant voir d’autres paravents, d’autres cadres. Ce qu’on imaginait être un dedans fermé et en fait un dehors aux terminaisons multiples et provisoires, un dehors : comme l’Univers défini par le physicien Stephen Hawking [1], la scénographie de Onzième prend naissance dans un temps imaginaire mais non pas infini, et présente un objet fermé, mais sans bords ni frontières.
Interdisant l’assignation, l’image produite fait retour sur elle-même de sorte qu’elle cesse d’être image réfléchissante d’autre chose qu’elle-même, mais évidence autonome de son signe, hors de la réflexion. Comme un bas-relief antique, une frise sur le devant des temples, l’espace de la représentation n’existe que dans le développement de sa production ; où la forme de l’image n’existe que pour se désigner elle-même dans son élaboration ; où l’image n’est pas seconde par rapport au réel, mais contemporaine du geste qui le produit et du regard qui la lit : « Pour les Égyptiens d’alors, l’image ne représente pas, elle est ce qu’elle représente », comme l’écrit Claude Régy [2]
Principe d’exposition et d’appréhension, de construction de l’espace et de la parole, le reflet est confondu dans son image, et l’image dans sa représentation, de sorte qu’il n’y a plus qu’une présence dressée, présence réelle de la chose et de son évocation, comme effaçant toute possibilité d’allégorie qui jouerait comme dehors où se trouverait la vérité. Ce geste est lui-même désigné comme tel, retournant le principe moteur par le processus, et le propos par le thème, dans le dialogue de Kirilov avec Vsévolodovitch, extrait Des Démons de Dostoïevski [3]
— Avez-vous quelquefois vu une feuille, une feuille d’arbre ?
— Oui.
— Dernièrement j’en ai vu une : elle était jaune, mais conservait encore en quelques endroits sa couleur verte, les bords étaient pourris. Le vent l’emportait. Quand j’avais dix ans, il m’arrivait en hiver de fermer les yeux exprès et de me représenter une feuille verte aux veines nettement dessinées, un soleil brillant. J’ouvrais les yeux et je croyais rêver, tant c’était beau, je les refermais encore.
— Qu’est-ce que cela signifie ? C’est une figure ?
— N-non… pourquoi ? Je ne fais point d’allégorie. Je parle seulement de la feuille. La feuille est belle. Tout est bien.
— Tout ?
— Oui. L’homme est malheureux parce qu’il ne connaît pas son bonheur, uniquement pour cela. C’est tout, tout !
Sur les toiles tendues de l’arrière-scène, se trouvent projetées les images d’un arbre en fleur : projection ? Représentation ? Ou signe d’une présence de l’image à elle-même rendue présente : la feuille n’est pas autre chose qu’une feuille, parce qu’il n’y a sur la surface de la toile que l’image de la feuille, la matérialité de sa présence, la plasticité sans distance, la sensibilité directe de sa vision sur la toile dont les soubresauts affectent l’image même, produisant sur elle l’effet du vent sur l’image dans l’absence de vent sur la feuille.
Cette exposition de la présentation se déroulera dans un rythme plus qu’une succession : des tableaux s’enchaîneront, souvent des dialogues ou des trio, avant le crescendo final et la présence de tous les acteurs sur scène. Rythme de l’exposition qui est finalement le principe central et moteur du spectacle : l’étonnement, quand on veut se souvenir de l’expérience de cette durée, c’est de constater qu’elle a eu lieu dans un double effet de lenteur et de rapidité – lenteur dans le tableau, et rapidité dans l’articulation des nombreux tableaux. C’est par une telle vitesse, singulière mais travaillée avec simplicité, qu’agit le spectacle sur la perception de l’ensemble en dilatant chaque microcosme des scènes, tout en emportant les tableaux dans un mouvement qui les dépasse et les jette en avant.
Dans chaque tableau, une scène, un enjeu dramatique coupé de l’ensemble duquel cette scène a été arrachée : telle séquence de Strindberg ; extrait de Dostoïevski, de Kafka ; mais aussi, dans le désordre le plus grand mais agencé avec le plus de précision : Witkiewicz ; Artaud ; Shakespeare ; Dante ; Virgile ; Hölderlin ; Tasso… [4]
Chacune de ces séquences fonctionne selon leurs lois propres, et dans la conscience du spectateur, cristalise différemment, sur différents diaphragmes prolongés dans le temps. Selon que l’on reconnaisse la référence ou non ; selon qu’on identifie les enjeux dramatiques ; selon que l’on reconstitue l’ensemble dans lequel il est pris – chaque spectateur ferait ainsi l’expérience de la reconnaissance, fragmentaire ou totale, et la scène de jouer (sur) différents niveaux d’appréhension. Mais ce n’est pas sur ce plan que la séquence agit le plus. Ce qui importe, à chaque fois, c’est de construire en son propre intérieur un jeu qui puisse se passer de la référence pour exister, non pas tant de façon autonome, mais comme dans la séparation avec sa source. Devant telle scène, si on devine l’origine, on ne peut faire que ce pas en avant vers le tableau pour postuler qu’il est sa propre cause, qu’il se produit dans sa durée propre, qu’il propose une totalité à elle seule, monade de ce qu’elle présente en partie.
Dès lors, l’antériorité comme référence compte moins que l’usage qu’elle propose, ici et maintenant, en tant que ici et maintenant de l’exposition. Mais les tableaux s’enchaînent, et le spectacle propose aussi sa mémoire intérieure qui vient se juxtaposer à l’oubli du spectateur de la référence extérieure. Car les séquences jouant aussi entre elles, nécessairement, élaborent un récit en dehors de la ligne droite d’une histoire – le récit du spectacle n’est plus l’amont de son propos organisé, mais la trajectoire d’échos provoqués, le tissu de signes étoilés en réseaux de correspondances objectives.
Dans cette puissance de production de présence, le texte agit en instantanée sur la conscience du spectateur puisqu’il n’est plus soumis à l’évolution d’une trame qui l’orienterait dans une durée qui le révélerait. Contre la révélation, l’instant successif rend spectaculaire la matérialité du texte, où chaque mot vient porter puisque aucun n’est destiné à plus tard. Sans réserve, sans provision, libéré du différé de l’articulation des mots et de l’action, le verbe retrouve la puissance effective de sa présence. Penser au discours de Kirilov sur le suicide :
— Eh bien ? Pourquoi mêler deux choses qui sont distinctes l’une de l’autre ? La vie existe et la mort n’existe pas.
— Vous croyez maintenant à la vie éternelle dans l’autre monde ?
— Non, mais à la vie éternelle dans celui-ci. Il y a des moments, vous arrivez à des moments où le temps s’arrête tout d’un coup pour faire place à l’éternité.
— Vous espérez arriver à un tel moment ?
— Oui.
L’action devient le mot lui-même, une effraction de présence dans l’instant de sa diction : sa prononciation dans l’espace et le temps que le verbe se donne.
Ce temps, c’est le titre qui le nomme : Onzième — mystère évident de ce titre qui inscrit le spectacle à la fois dans une succession et dans la ponction : symétrie parfaite du 11, l’initiale redoublée qui inaugure et recommence, depuis un milieu qui l’emporte.
Onzième cʼest entre dix et douze. Cʼest un milieu-un mitoyen-un méridien, le nombre dʼun quatuor entendu en clairière avec Klaus dans les champs où sont les herbes et les grillons parler ou ne pas parler et se promener en compagnie des créatures « conversation sur la montagne » Paul, Scardanelli, Gherasim, Gilles lʼentretien de cette conversation. Théâtre tente de dire lʼendroit dʼoù lʼon regarde, le lieu dʼoù lʼon regarde et cʼest, à prononcer, encore ce ressaisissement dʼalerte, amitié et respect.
— François Tanguy
Onzième, c’est ainsi le signe musical qui organise souterrainement l’ensemble : onze devient ce chiffre magique, nombre d’or qui relie l’élément sonore, le paysage harmonique – la source première, c’est le onzième quatuor pour Violoncelles de Beethoven, d’où irradient d’autres onzième mouvements ou pièces : de Schoenberg, Verdi, Tchaikovski à Schubert, Boulez, Chostakovitch, Bach, tant d’autres… [5]
Si la musique est l’élément du spectacle, rien ne lui est subordonné : c’est parce qu’elle est le véhicule de la charge lyrique, épique, voire politique (Verdi contre Mussolini) qui peuple la scène et la met en mouvement, organise souplement les passages d’un tableau à l’autre. Structuration davantage que structure, la musique est la scénographie invisible du drame que constitue la fabrication du spectacle.
L’emportement de l’ensemble dans l’accélération progressive des tableaux, la cohérence de propos dans les dernières séquences, rendent plus présente encore la présence du spectacle : aux derniers tableaux revient la charge de rassembler les matériaux qui ont produit le contemporain de la scène pour les faire agir ensemble – les comédiens, les voix, les propos tissés se nouent finalement, dans cette urgence libératrice d’une fin qui n’achève pas, mais arrête le spectacle au moment donné par ce rythme, lorsqu’il se rejoint.
tu es pressé d’écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s’il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre
ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
effectivement tu es en retard sur la vie
la vie inexprimable
la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir
celle qui t’es refusée chaque jour par les êtres et par les choses
dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
au bout de combats sans merci
hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière
si tu rencontres la mort durant ton labeur
reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
en t’inclinant
[…]René Char, Commune présence
Communes présences au terme de ce spectacle – présence des acteurs ayant échangé sans cesse leur rôle comme des paroles ; des spectateurs, traversés de ces présences multiples et successives ; du spectacle lui-même, transmis dans cette énergie et cette joie évidente de s’être ainsi donné en spectacle : le mot de présent est aussi celui qui dit le don. Dans le tourbillon de ce temps sans durée, on est finalement confié de nouveau au réel sans disjonction cependant, non pas issu d’une parenthèse, mais redonné après ce temps de concentration des forces vives du réel au temps remis à neuf du flux vital, tant le spectacle n’a eu de cesse de convoquer ces forces pour les produire, en nous aussi. Au terme de Onzième, c’est relâché dans le monde que le spectateur se trouve, se retrouve et se libère en retour.