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jérémy liron | affrontements (la chauve-souris)
vendredi 4 janvier 2013
Ces prochains jours, je reviendrai sur le projet Affrontements, publiés ces dernières semaines aux éditions Publie.net — mais touché, au cours du mois de décembre, des nombreux signes et textes sur les blogs amis, frères. C’est aussi autant de manière d’inventer de nouvelles manières de faire signe, de parler d’un texte : en dehors de la critique, plutôt incorporé dans un parcours — voir, par exemple, comment Guillaume Vissac a noté dans son journal le fil de sa lecture.
Affrontements en partage, et je n’ai évidemment, rien à dire : ils savent très bien que je leur dois beaucoup, de ces affrontements [1]
Ce soir, me permets simplement de reprendre ici le texte de Jérémy Liron, sur son blog, pas perdus dans l’atelier, la bibliothèque, la ville, son tableau.
paysage blog & Maïsetti
Ça c’est fait comme ça, difficile de dater. Pas même souvenir du premier mail envoyé, ce que c’était d’envoyer un mail quand ce geste avait tout de nouveau. Alentours 2002/2004, utiliser d’abord Internet pour chercher brièvement du contenu, on en est encore à 56ko de connexion, la musique du modem qui cherche la ligne, téléphone qui s’interrompt et devoir quitter vite en raison du coût. Installation dans mon studio à Paris, choix de l’opérateur, première Freebox puis dégroupage, Adsl et larges plages de surf, on a glissé dans ces usages sans presque se rendre compte et déjà on passait des soirées sur Msn Messenger à discuter par écrit au copain quitté y’a une heure, à l’autre expatrié au bout du monde pour qui s’était la pleine journée, à dériver de sites en sites. Une histoire d’espace à explorer puis à habiter. Les messages groupés dans les mails et puis rapidement le blog. Pour ma génération aborder cet espace neuf était conjoint à la pratique nouvelle d’une écriture régulière. Le blog faisait office de support. Et puis rapidement il vous accompagnait. On lui confiait des choses et il réclamait qu’on le fasse exister. Il y avait ça aussi : se sentir obligé de son blog et de ceux qui le lisaient. Pour beaucoup je crois, le blog était l’équivalant de cette « pièce à soi » que réclame Virginia Woolf, un domaine où on se retrouvait au soir, un espace pour habiter et poser ses pensées. Bientôt un lieu de rencontres. On se proposaient de faire liens, on se lisaient, se commentaient, discutaient de choses et d’autres. A ce moment on se forgeaient l’image d’un équivalant moderne de ces terrasses de cafés où frayaient à la belle époque les poètes et les peintres. Le cercle s’est étendu rapidement avec recoupements divers. En 2005 il y eu Tierslivre.net dans la liste marginale de mes liens, le Désordre et quelques autres. C’est quand -2006 ? que j’ai suivi ce colloque consacré à François Bon à St Etienne. Et là les flyers déposés pour le lancement de sa collection Déplacements, au Seuil. Ça date sans doute de là la fréquentation du blog d’Arnaud Maïsetti, Contretemps. Quelques mois plus tard, réception de son premier livre papier avec dédicace qui témoigne déjà d’un échange initié sur le web. Est-ce qu’on considère un peu nos blogs comme ce livre que l’on n’écrira pas (je l’avais écrit alors en sous-titre) ? Ou ce livre que l’on écrit sans l’écrire ? On imagine tous des choses immenses avec liens hypertextes, contenu enrichi d’images, vidéos, bandes son. Et alors penser que l’incapacité dans laquelle on se trouve d’écrire un livre, disons un roman, a quelque chose à voir avec le sentiment que l’on cherche quelque chose qui excède la forme traditionnelle du livre. Ou bien est-ce un espace d’expérimentation, de notes distantes, un labo (comme je l’avais également inscrit en sous-titre), une manière de journal ? Disons que c’était cette liberté qui nous guidait, transgressive, conjointe au sentiment d’existence, d’efficacité (entendre efficacité comme la découverte que les idées que l’on y déposait pouvaient être sujettes à réactions) que recelaient ces choses une fois publiées en ligne. On devait se rendre compte plus tard que cette maitrise de la chaine depuis la conception à la diffusion en passant par les interventions sur l’interface et la publication était gage de cette liberté conquise et espace là aussi à aborder et investir dans son ensemble. Que l’on soit clair, on apprenait les uns des autres comme dans un atelier commun s’insinue une sorte de jam session. Dès ce moment, le lieu virtuel fondé par Arnaud Maïsetti témoignait d’une singularité vive, abouché à la ville à la nuit, aux échos au dedans de ces voix trébuchant aux parois de la ville et de la nuit. Textes et photos bougées. Et puis c’est paysage familier, lieu auquel on revient sans s’en rendre compte et qui nourri. En quelques années, le site qui a succédé au blog sommaire des débuts s’est imposé avec ses carnets comme un espace repaire, danse et riche dans lequel on peut suivre les diverses avancées parallèles du travail d’Arnaud entre recherche, théâtre, musique, image, poésie, réflexions sur la littérature au numérique.
(…)
On ne peut pas dire qu’il n’y ait eu réticence vis à vis de cet espace nouveau accompagnant l’enthousiasme. On abordait l’immense, abandonnait la forme close entre ses pages pour une forme prospective, rhizomique. Disons qu’en dedans de ce nouvel espace c’était à nous d’essayer des formes : textes brefs ou longs, danses ou truffés de liens comme un lieu de passage, avec image ou sans, avec reprises en feuilleton ou tissant liens plus lâches, adressés, critiques, poétiques. Notes posées là jouant comme un carnet, papiers collés façon Perros, notes de lecture, de visite d’exposition… Cet état de recherche éclatée que l’on retrouve dans des projets plus denses.
Bien sûr que l’on croit choisir mais ne choisi rien ou si peu. La singularité est souvent la forme retournée d’une incapacité. Ces récits de Kafka dont l’inachèvement nous touche et explique magnifiquement l’état de monde à l’époque n’en sont pas moins pour leur auteur une forme d’échec qu’il rencontre comme une entrave. On s’est essayés au livre dense pour être sûr que l’effervescence déployée était un choix, il a été comme Picasso disait de ses périodes bleue et rose, un « paravent » pour la suite. Un peu pour soi, et beaucoup pour les autres ; le livre vous signifie comme écrivain davantage que l’écriture. Pourtant il n’y a qu’à lire quelques fragments de ces Carnets pour se persuader qu’Arnaud Maïsetti est écrivain, pousse la langue avec exigence à la rencontre du monde du dehors comme du monde du dedans dans leurs diverses rencontres. Il s’agit de faire dire aux mots ce à quoi on s’affronte. Témoigner de la lutte.
(…)
On fouille dans les mots le sens du monde et dans leur usage, c’est-à-dire dans la langue, le rapport que l’on entretient avec lui. Non pas que le dire l’épuise (« aucun mot ne vient s’abattre entre nous et les façades » écrit Arnaud), mais ce sont nos pauvres armes pour exister face à l’immense et incompréhensible, pour affirmer une forme de résistance à l’engloutissement, à la dissolution mole. En vérité, on est rendu à l’aveuglement, au mutisme, à l’évanouissement d’une réalité excédante sur laquelle on avance par des mots, des images tendus au devant. Peut-être, la parole est ce par quoi l’on rejoint le monde dans son éloignement, comme l’œil et les images qu’il forme. Aussi familier qu’il soit, le monde nous est autre, il est ce à quoi nous sommes confrontés, affrontés et cette position décollée est aussi ce qui nous fait, nous donne contour au lieu de nous confondre, d’annihiler tout sujet.
L’affrontement donc, comme réel état de notre rapport au monde et du rapport à soi en ce que nous sommes un de ces objets incompréhensibles du monde. Affrontements plutôt, qu’Arnaud Maïsetti dénombre dans leur champ lexical, comme les cubistes multiplient les aspects d’une même chose pour en rendre le volume véritable. Lieux, voix, visages, talismans… comme autant d’entrées pour dire à quoi la langue s’affronte. On pourrait imaginer l’écrivain comme une chauve-souris lançant sa voix dans le vide de la nuit pour en tâter les volumes.