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Bruissements | l’exposition, son projet
dimanche 23 juin 2013
Ce samedi, vernissage de l’exposition Bruissements, rêvée, imaginée, élaborée, orchestrée par Léa Bismuth, historienne de l’art, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante – autour de ce mot, « bruissements », Léa a rassemblé œuvres de jeunes plasticiens, peintres, vidéastes qui dialoguent avec ce mot et son appel, dans le tremblé des crépuscules, entre surgissement et effacement, frôlement des désirs et des peurs, des formes et de leurs sens.
Pour cette exposition, Léa m’a invité dans la danse, et grand (grand) merci à elle (un peu étrange pour moi de me trouver à travailler dans/pour une galerie, au milieu de plasticiens dont j’admire tant le travail : mais que le texte soit aussi l’espace d’un affrontement plastique me semble si juste, si important).
L’idée de ma proposition [1], mais j’y reviendrai dans ces carnets : non pas donner et exposer un texte écrit une fois pour toute et affiché tel quel sur le mur le premier jour et fini, au contraire : écrire au jour le jour le jour le jour des bruissements, dépôt du jour et des affleurements du réel, actualités du monde ou crissements intimes. Chaque jour, j’écrirai un texte, qui chaque jour sera affiché sur le mur de la galerie, qui n’a pour l’heure que des pages blanches, feuilles volantes accrochées, avec en-tête d’une date à accomplir. Et parce que le travail du journal est pour moi lié désormais essentiellement au net, le projet s’accompagne d’une mise en ligne sur un site dédié bruissements.net – sur une rubrique ouverte à l’accueil de mes textes.
Oui, y revenir.
Mais pour l’heure, et pour saluer l’ouverture de l’exposition [2] (jusqu’au 27 juillet, à la Galerie Gounod – beau signe d’être en plus accueilli dans la Galerie de l’ami Jérémy Liron) –, quelques photos des œuvres exposées par les jeunes plasticiens, avec le texte de présentation de Léa Bismuth.
À voir directement à la Galerie, si vous passez : c’est, au cœur de Paris, au 13 rue Chapon – et si vous êtes de passage, ne pas hésiter à faire signe ?
« Plus l’oreille s’ouvre aux petits bruits, aux petits bruits secrets, plus ceux-ci se font sonores » Peter Handke
« Prêtons l’oreille à ce qui « bruit » sous les éclats de voix. Ecoutons le langage utopique des souterrains, habituellement caché sous le fracas des sirènes, le tapage enragé et les cris.
Pour cela, l’exposition obéit à une double géographie : à la fois exposition dans la galerie et espace évolutif sur internet, à travers le site bruissements.nethébergeant une expérience littéraire proposée à l’écrivain Arnaud Maïsetti. A travers l’écriture d’un texte en constante transformation et actualisé chaque jour dans l’exposition, celui-ci fait entrer le spectateur-lecteur dans l’écriture d’un flux continu, réagissant à la dimension nécessairement « bruissante » de toute écriture et de toute actualité, à la « rumeur du monde », diffuse et tentaculaire.
Lorsque le bruissement se fait vision, c’est un arbre aux feuilles légères qui tremble, dans les dérives photographiques d’Ester Vonplon dans une Suisse hors du temps, celle de la mémoire et des maisons abandonnées ;
ou dans le dessin d’Anne-Lise Broyer rejouant littérairement l’éveil du regard sur toutes choses. Ces œuvres, toujours à la limite de la visibilité, n’offrent plus qu’une vision troublée, aux contours imprécis plus que flous, un instant d’attente à la cime des arbres.
Plus loin, la glace n’aura pas d’autre rivale que la morsure du soleil et les cendres d’un feu : la caméra primitive de Juliette Agnel enregistre la vision inversée d’étendues givrées en Islande qui apparaissent comme des nuages légers et flottants ;
pendant que les « images du hasard » de Manon Bellet, produites par réaction thermique, laissent apercevoir des clairs de lune, des reflets fragiles que seuls les contes savent faire naître. Les origines de la photographie ne sont jamais bien loin, espace inframince dans lequel les images décident d’apparaître.
La rumeur secrète et animale de la vie urbaine s’incarne dans le majestueux loup de Lionel Sabatté, rodant dans l’espace de la galerie, réalisé à partir de poussière grise, ramassée à la station de métro Châtelet, dans ces couloirs sales où chaque jour, des milliers d’âmes humaines laissent des traces. Des corps se sont frôlés, des cheveux se sont envolés, des parcelles de vie se sont consumées et l’artiste est ici dépositaire d’une matière maudite.
Et puis c’est la nuit, pourtant il nous faut garder les yeux ouverts dans l’obscurité, afin de distinguer les traînées de lumières laissées par les voitures, comme des lucioles d’un nouveau genre dans le film Nuit Blanche #1 de Jérémie Scheidler.
« La lumière s’éteint toujours », nous dit enfin une petite toile d’Aurore Pallet.
Et les yeux se ferment, tout redevient calme, comme dans le lavis d’encre profonde de Claire Chesnier, seul véritable crépuscule de l’exposition.
Le monde attend son heure, l’éclipse, qui ne saurait tarder. »
Léa Bismuth.