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Quand la nuit vient | Le sommeil #1
samedi 18 mai 2019
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Toujours c’est aux carnages qu’il pensait avant de s’endormir. Dès qu’il fermait les yeux, il lui en venait dix, cent, mille. Pas besoin d’effort, c’était là, dès les yeux fermés. Les corps tombent, tout va bien. Quand le sang coule, il dormait déjà.
C’est lui qui frappait. Dans la terreur, il voyait son corps frapper et frapper encore, il fermait les yeux davantage pour ne pas voir et se voyait davantage frappant, frappant encore.
De l’autre côté du bras, les corps transpercés s’effondraient, après la chute, il entendait les cris encore ; les foules repliées en désordre courraient, se bousculaient, hurlaient. Tout cela le terrifiait et rapidement l’endormait.
La chambre autour du lit était là. Et la fenêtre aussi, les rideaux qui laissaient passer la noirceur de la nuit mal éclairée. Lui il dormait. Si on s’approchait, on ne le voyait pas sourire. On ne voyait rien. Sur son visage aussi il dormait.
Le lendemain, sous la douche, le métro, dans la rue où il allait, dans les cafés, il y penserait parfois. En regardant les gens, il avait peur pour eux, il avait peur de les massacrer le soir en silence. Il avait peur pour lui.
Il était persuadé qu’eux aussi ne pouvaient pas trouver le sommeil sans penser aux carnages, sans penser le soir en silence à le massacrer. C’est par là qu’il se sentait lié à eux. Par là qu’il habitait le même monde qu’eux peut-être. Il n’éprouvait aucune haine, au contraire.
Quand il terminait son café le matin, qu’il déposait les pièces de monnaie sur la table, c’est cela qu’il payait aussi, je crois : la terreur au prix du repos, le secret inavouable qui, le soir, les enveloppait dans une même image – quand la nuit vient, des corps massacrés en silence.