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Le Comité Invisible | « Et que vienne un temps dont on s’éprenne. »
mercredi 29 avril 2009
Qui est l’auteur de ce livre ? Son lecteur. S’engager à en recopier une page, pour en être le garant. Espace web institué en commune. (et merci à François Bon, pour l’appel)

S’attacher à ce que l’on éprouve comme vrai.
Partir de làUne rencontre, une découverte, un vaste mouvement de grève, un tremblement de terre : tout événement produit de la vérité en altérant notre façon d’être au monde. Inversement, un constat qui nous est indifférent, qui nous laisse inchangés, qui n’engage à rien, ne mérite pas encore le nom de vérité. Il y a une vérité sous-jacente à chaque geste, à chaque pratique, à chaque relation, à chaque situation. L’habitude est de l’éluder, de gérer, ce qui produit l’égarement caractéristique du plus grand nombre dans cette époque. En fait, tout engage à tout. Le sentiment de vivre dans le mensonge est encore une vérité. Il s’agit de ne pas le lâcher, de partir de là, même. Une vérité n’est pas une vue sur le monde mais ce qui nous tient liés à lui de façon irréductible. Une vérité n’est pas quelque chose que l’on détient mais quelque chose qui nous porte. Elle me fait et me défait, elle me constitue et me destitue comme individu, elle m’éloigne de beaucoup et m’apparente à ceux qui l’éprouvent. L’être isolé qui s’y attache rencontre fatalement quelques-uns de ses semblables [1]. En fait, tout processus insurrectionnel part d’une vérité sur laquelle on ne cède pas. Il s’est vu à Hambourg, dans le cours des années 1980, qu’une poignée d’habitants d’une maison occupée décide que dorénavant il faudrait leur passer sur le corps pour les expulser. Il y eut un quartier assiégé de tanks et d’hélicoptères, des journées de bataille de rue, des manifestations monstres – et une mairie qui, finalement, capitula. Georges Guingouin, le « premier maquisard de France », n’eut en 1940 pour point de départ que la certitude de son refus de l’occupation. Il n’était alors, pour le Parti communiste, qu’un « fou qui vit dans les bois » ; jusqu’à ce qu’ils soient 20000, de fous à vivre dans les bois, et à libérer Limoges.
pp. 85-86Créer des territoires.
Multiplier les zones d’opacité
Le territoire actuel [2] est le produit de plusieurs siècles d’opérations de police. On a refoulé le peuple hors de ses campagnes, puis hors de ses rues, puis hors de ses quartiers et finalement hors de ses halls d’immeuble, dans l’espoir dément de contenir toute vie entre les quatre murs suintants du privé. La question du territoire ne se pose pas pour nous comme pour l’État. Il ne s’agit pas de le tenir. Ce dont il s’agit, c’est de densifier localement les communes, les circulations et les solidarités à tel point que le territoire devienne illisible, opaque à toute autorité. Il n’est pas question d’occuper, mais d’être le territoire. Chaque pratique fait exister un territoire – territoire du deal ou de la chasse, territoire des jeux d’enfants, des amoureux ou de l’émeute, territoire du paysan, de l’ornithologue ou du flâneur. La règle est simple : plus il y a de territoires qui se superposent sur une zone donnée, plus il y a de circulation entre eux, et moins le pouvoir trouve de prise. Bistrots, imprimeries, salles de sport, terrains vagues, échoppes de bouquinistes, toits d’immeubles, marchés improvisés, kebabs, garages, peuvent aisément échapper à leur vocation officielle pour peu qu’il s’y trouve suffisamment de complicités. L’auto-organisation locale, en surimposant sa propre géographie à la cartographie étatique, la brouille, l’annule ; elle produit sa propre sécession.
pp. 97-98L’insurrection qui vient, La Fabrique édition.
Ces passages sont extraits du texte signé du comité invisible, l’insurrection qui vient. Je souscris à chacune de ces lignes, et pourrais les signer - les signe ici, en conscience. Et en partage.
Sur le blog de Cécile Portier, reprise de cette démarche initiée par François Bon - avec des réserves, que je comprends et qui m’ont aussi un temps arrêté : en particulier sur la contradiction d’être en partie soi-même ce que dénonce le livre. Cela dit, et après réflexion (mais réflexion en cours, et c’est bien le sens de cette espace ouvert), contradiction assumée, non pas mollement, mais douloureusement : et me dire que la radicalisation du mode de vie peut aussi être un confort, surtout que le surgissement en commune peut se faire, autrement, sous d’autres formes. Parce que l’angle mort du livre, précisément, c’est internet - idée pour ma part que le net peut être l’outil et le geste d’inscription des communes. C’est le sens de la démarche, dans cette rubrique, et ailleurs.
Le pouvoir ne se concentre plus en un point du monde, il est ce monde même, ses flux et ses avenues, ses hommes et ses normes, ses codes et ses technologies. Le pouvoir est l’organisation même de la métropole. Il est la totalité impeccable du monde de la marchandise en chacun de ses points. Aussi, qui le défait localement produit au travers des réseaux une onde de choc planétaire.
p. 122
À la tâche assignée par le livre : cet espace numérique ici qui voudra répondre avec ses propres moyens. Ce carnet d’écriture et de lecture dont l’horizon est, oui, la recherche et l’approfondissement d’un espace local à défaire. Mais "quel arme ?" : la langue, contre-pouvoir minimal, total, insurrectionnel.
Qui a connu la joie démunie de ces quartiers de la Nouvelle-Orléans avant la catastrophe, la défiance vis-à-vis de l’État qui y régnait déjà et la pratique massive de la débrouille qui y avait cours ne sera pas étonné que tout cela y ait été possible. Qui, à l’opposé, se trouve pris dans le quotidien anémié et atomisé de nos déserts résidentiels pourra douter qu’il s’y trouve une telle détermination. Renouer avec ces gestes enfouis sous des années de vie normalisée est pourtant la seule voie praticable pour ne pas sombrer avec ce monde [3]. Et que vienne un temps dont on s’éprenne.
pp. 68-69