arnaud maïsetti | carnets

Accueil > INTERVENTIONS | COMMUNES > Pouvoir, infamie et chocolat jusqu’à en crever

Pouvoir, infamie et chocolat jusqu’à en crever

Du souverain infâme

samedi 15 avril 2017

Michel Foucault lecteur de Trump – via M. Potte-Bonneville sur Twitter


13 avril 2017. Le leader du monde libre.

Nous étions à table, nous avions terminé le dîner et nous étions au dessert.

Il faut entendre le pouvoir raconter ses repas, ce qui se dévore pendant qu’il est à table.

Et nous mangions le plus beau gâteau au chocolat que vous puissiez voir.

C’est donc autour d’une part de gâteau qu’on décide de la vie et de la mort, ou que la vie et la mort cessent d’être une question de vie et de mort, pour être simplement une décision qu’on prend entre deux bouchées.

Et le président XI était en train de le dévorer.


Le reste appartient aux cendres et à l’histoire quand elle tombe en ruines sur les hommes.

C’est ce qu’il y a de rassurant avec le pouvoir d’aujourd’hui : qu’il n’a pas besoin de masque. Que son masque est son propre visage. Il confond les pays qu’il attaque, il confond les noms et les dates, il confond la réalité avec les faits alternatifs. Il confond Shakespeare avec Labiche, et Marx avec Groucho. C’est ce qu’il y a de retors aussi, de terrible : comment démasquer un pouvoir qui porte cheveux postiches et maquillage de télé-réalité ? Peut-être en le prenant au mot ?

8 janvier 1975 [1] Cours au collège de France de Michel Foucault [2]

Ce problème de l’infamie de la souveraineté, ce problème du souverain disqualifié, après tout, c’est le problème de Shakespeare ; et toute la série des tragédies des rois pose précisément ce problème, sans que jamais, me semble-t-il, on ait fait de l’infamie du souverain la théorie. Mais, encore une fois, dans notre société, depuis Néron (qui est peut-être la première grande figure initiatrice du souverain infâme) jusqu’au petit homme aux mains tremblantes qui, dans le fond de son bunker, couronné par quarante millions de morts, ne demandait plus que deux choses : que tout le reste soit détruit au-dessus de lui et qu’on lui apporte, jusqu’à en crever, des gâteaux au chocolat – vous avez là tout un énorme fonctionnement du souverain infâme [3]

Il resterait moins à faire la théorie de l’infamie que la pratique d’une contre-infamie. Nous en sommes là. De Shakespeare à Trump, plus d’autres spectacles que sa propre infamie.Spectacle du pouvoir qui est à lui-même sa représentation, sur Fox News et dans les chaînes d’info continues, dans le bruit que fait une mâchoire pour avaler en riant le plus beau gâteau au chocolat que vous puissiez voir.


[2Repris dans Michel FOUCAULT, Les anormaux (1974-1975), Cours Année 1974-1975, Édition numérique réalisée en août 2012, à partir de l’édition CD-ROM, Le Foucault Électronique(ed.2001)

[3Note de Foucault : Voir J. Fest, Hitler, II : Le Führer, 1933-1945, trad. fr. Paris, 1973, p. 387-453 (éd. orig. : Frankfurt am Main-Berlin-Wien, 1973