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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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Jrnl | Toute cette lumière
[25•09•23]
mardi 23 septembre 2025

« L’hiver où, ma sœur partie, il me sembla qu’un grand nombre de feux avaient été allumés où l’on brûlait sans fin et les morts et les vêtements des morts.
« Et, si ç’avait été de la folie, je l’aurais reconnue dans les yeux des morts ; mais ce n’était pas de la folie, c’était bien les morts que l’on brûlait — et qui éclairaient la nuit — et qui me jetaient sur le visage toute cette lumière. »Éric Vuillard, « Printemps », Tohu (2005)
« On sait à peu près ce qu’il faudrait détruire de ce monde pour le rendre vivable » — sans bien savoir comment. Peut-être une ruade, ou seulement fermer les yeux, cela suffirait : ça ne suffit pas. Par exemple les routes. On sait bien qu’il faudrait placer les trottoirs au milieu. Ou la ville : qu’il faudrait d’autres formes dans le cœur. Le bruit que fait la pluie sur le sol est le même qu’on entendait au paléolithique inférieur, mais elle est recouverte par tant de siècles. Pour rendre vivable cette vie, c’est peut-être cela qu’il faudrait : apprendre à compter autrement qu’en ajouts, mesurer le temps en battements, et découvrir que la lenteur n’est pas l’opposé de la vitesse mais son secret.
Le ciel bleu après l’orage : plus cruel encore, plus indifférent à la mort, ou plus semblable à elle que la mort elle-même.
Duras faisait son lit avant d’écrire, et j’essaie de me souvenir ce que nous disait alors FM quand il évoquait cela (plusieurs fois, au cours du semestre, cette image lui revenait, motif récurrent dans ses cours qu’il menait comme un solo de jazz, improvisation libre, et cette image comme d’autres lui servaient d’accords de passage, points d’appui pour ses variations — chaque séance, un chorus différent sur les mêmes grilles harmoniques), je ne sais plus, peut-être : « comme si on n’allait plus retrouver son corps », mais ce n’était pas cela.
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Jrnl | Des restes d’une espèce de larme
[25•09•21]
dimanche 21 septembre 2025

Les yeux sont entourés des restes d’une espèce de larme.
Pascal Quignard, Petits Traités I, 1977
Le soleil tombe comme si c’était de la pluie : par hasard et quand il heurte le sol, c’est trop tard. Dimanche heurte la surface des pensées sans les entamer, en profondeur passe des formes trop vagues pour qu’on puisse les saisir, aveugles et sourdes, dérivant à même la vase sans jamais rejoindre quoi que ce soit, bientôt avaler par un monstre sans nom. D’immenses épaves deviennent des coquillages. Le bruit qu’il fait ici n’a pas d’importance. Les larmes salées se confondent avec le monde ; elles font sur les plaies des douleurs qu’on ne peut pas dire, sauf dans les rêves, quand on est seul.
La capacité d’acceptation de l’image : infinie. On les reçoit comme si c’était de la lumière et qu’on était un arbre : on est un arbre, et la lumière tombe aussi, plus féroce que la pluie, plus lente que l’eau, et on regarde alors : le monde qui se fabrique ainsi image après image, hurlant.
À quoi bon de nouvelles lois qui décrivent comment les corps tombent, si seules importent les lois qui prescrivent comment tomber à genoux : les mots de Brecht, ce jour-là, tombèrent encore plus lourdement que la pluie, que dimanche et ses larmes, que la lumière et la nuit ensemble.
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Jrnl | Plus que le monde
[25•09•18]
jeudi 18 septembre 2025

Ne suis-je la beauté
Que parce que je flatte votre rêve ?
Je suis tapie, effrayée, je suis prête
A me jeter en avant, à griffer,
Ou à faire la morte si je sens
Que ma cause est perdue dans vos regards.
Demandez-moi d’être plus que le monde.
Yves Bonnefoy, L’Heure présente (2001)
Que la violence n’est pas extérieure à la civilisation, mais son origine cachée : n’importe quel livre de n’importe quelle partie du monde, à n’importe quel moment de son trajet dans le temps le hurle dans les phrases les plus définitives ; il faut croire qu’on est sourd, ou que face au cri, on prenne peur, qu’on se soit trop longtemps réfugié sous les porches des églises et des préfectures, criant plus fort pour réclamer de l’aide, et voilà qu’elle arrive, armée de pied en cap, levant le bâton, visière baissée. Mais bien sûr qu’on le voit, la vérité nue comme un visage : l’origine mal cachée de la civilisation est aussi celle qui lui permet d’organiser l’humiliation le plus sereinement du monde. Et puis, non : à intervalles réguliers, la violence est désignée comme telle : l’origine de l’ordre et sa force d’organisation permanente du réel. Soit Marseille un jeudi matin ensoleillé ; rien à demander, rien à négocier, seulement aller, d’un bord du vieux port à l’autre, marcher sa peine et la honte d’observer les représentants représenter, et recevoir la police casquée pour solde de tout compte.
Notes éparses sur l’image et les régimes de vérité qu’elle compose, distribue, ou défait. — L’image est une trame composée d’un tissage d’images elles-mêmes minuscules, pixels assemblés qui sont invisibles chacune, et qui toutes ensemble la forment : chaque image est la monade de toute image, cette invisibilité des parties qui lève la visibilité d’un tout. Prendre une image, ce n’est pas la représenter, c’est choisir quelle couleur on dépose en premier, quelle autre, ensuite. Non, l’image ne décrit pas le monde, elle le constitue. Ce que veulent les images : seules elles le savent. L’image est muette parce qu’elle refuse de prendre la parole, pour mieux la donner à qui se jettera sur elle. À force de redoubler la présence du monde, l’image est devenue première : c’est le monde qui est devenu une image parmi d’autres de toute image. Définition d’un être humain : un vivant qui regarde des images. Œuvre d’art : une caméra filme en gros plan le visage d’un Bouddha. L’image captée est diffusée en direct sur un écran de télévision placé face à lui. On voit ainsi le Bouddha regarder la télévision, qui montre son propre visage en train de regarder. L’image est moins suspecte que la réalité.
On perçoit le monde différemment avec un marteau à la main : tout devient clou. Tout devient planche de bois. Tout devient appréhension de la douleur à venir sur le pouce martelé.
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Jrnl | On a des visions intérieures
[25•09•15]
lundi 15 septembre 2025

On est entré dans une zone de chocs. Phénomène des foules, mais infimes, infiniment houleuses.
Les yeux fermés, on a des visions intérieures.
Des milliers et des milliers de points microscopiques fulgurants, d’éblouissants diamants, des éclairs pour microbes.
Des palais aux tourelles innombrables, qui filent en l’air sous une pression inconnue. Des arabesques, des festons. De la foire. De l’extrémisme dans la lumière qui, éclatante, vous vrille les nerfs, de l’extrémisme dans des couleurs qui vous mordent, vous assaillent, et brutales, blessantes, leurs associations.
Du tremblement dans les images. Du va-et-vient.
Henri Michaux, L’Infini turbulent (1957)
Chambre dont on a perdu la clé le jour même où l’on appris qu’elle existait ; miroir qui se ternit sous le premier regard qu’il reçoit ; fruit qui pourrit dès l’instant où la main se tend pour le cueillir — corneille dont les ailes se brisent à l’instant même de son plus beau chant : autant d’images qui se fixent quand je cherche à désigner la pensée (l’émotion) de ce jour — et à cerner l’obsession, je ne fais que des cercles qui s’éloignent du centre, s’élargissent en ondes concentriques qui finissent par dessiner à rebours le jet d’une pierre dans un lac immobile, chaque cercle plus faible que le précédent jusqu’à ce que la surface retrouve son calme et que plus rien ne témoigne de rien.
Écrire pour faire le point : non, l’agrandir, ou chercher ce qui le déplace. Écrire pour tirer le point vers où il pourrait devenir autre chose — objets compacts, trous noirs, régions de l’espace-temps où la courbure devient si intense qu’elle piège la lumière. L’horizon des événements : cette frontière invisible au-delà de laquelle rien ne peut plus s’échapper, rayon de Schwarzschild où le temps se dilate infiniment. Voilà ce que cherche écrire : non fixer le sens mais tracer ces lieux de passage, portails par où le temps et l’espace deviennent autres, où la pensée subit la courbure fatale qui l’attire vers ce qu’elle ne peut plus nommer.
L’en-deçà du réalisme : territoire où le réel est tenu à distance autant qu’en joue. On pourrait faire feu, on attend. Il se met à genoux dans la poussière, supplie avec des mots qu’on ne comprend pas, pleure presque, et on lui tourne le dos en riant (sentir qu’il se jette sur nous, le couteau qui cherche les reins).
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Jrnl | Aux sursauts courageux
[25•09•14]
dimanche 14 septembre 2025

Pantin, Aubervilliers, prodige
De la Chimie et de ses jeux,
Voici venir la brise, dis-je,
La brise aux sursauts courageux…
Verlaine, « En septembre »
L’Empereur entre dans Moscou déserte à quatorze heures, soixante ans plus tôt ce même jour, l’Angleterre bascule soudain dans le calendrier grégorien — le 2 septembre devient 14 à minuit, onze jours avalés d’un seul trait, le temps bondit et emporte tout —, et puis, même jour, naît Amy Winehouse, presque aussitôt (vingt-sept ans plus tard) avalée aussi ; Haroun al-Rashid devient calife de Bagdad, la ville crie son nom, Charlemagne croit l’entendre, mais non, ce n’était qu’un enfant qui jouait, j’entends moi aussi son cri qui me parvient de la fenêtre — le quatorze septembre porte les autres, comme chaque jour de chaque vie, le temps qui fait semblant d’organiser le chaos pour mieux nous confondre et nous abolir.
Et puis, voilà qu’après l’automne d’hier, le grand ciel d’été — septembre flotte dans l’incertain. Dans cette suspension, les temps s’arrachent de leur solitude, viennent se heurter comme l’orage la montagne, où le fracas vient après la lueur. L’urgence monte depuis le sentiment océanique de la saison, cette vastitude de septembre qui hésite entre les eaux. Le monde est bien sûr atroce — dispose-t-on d’autres mots ? — mais dans cette indécision de l’air, quelque chose. Les saisons qui perdent pied, l’Histoire qui ne reconnaît plus ses dates, et septembre qui oublie son nom entre douceur et brise d’automne. Dans cette ignorance, peut-être.
D’autres quatorze septembre complotent dans le brouillard devant nous : et serai-je là pour les voir ? Un quatorze septembre qui ne portera pas ce nom dans une civilisation autre, sous d’autres cieux comptés autrement.
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Jrnl | Une pierre
[25•09•13]
samedi 13 septembre 2025

Une pierre n’est lourde qu’à sa place.
Proverbe albanais
Matin lourd déjà de la promesse d’automne qui cherche son nom — et puis, elle le trouve : il pleut sur la mer vers dix heures qui semblent dix-huit, et la pluie sur la mer tombe avec le même secret que toujours — le ciel sans fond qui se précipite dans les surfaces pour rejoindre ses profondeurs, l’eau qui se verse dans son propre miroir, quel signe de quelle image vers quelle terrible évidence ? Le monde qui se dissout en lui-même sans reste.
Le jour lent. Pendant ce temps, le monde battait — poursuivant son commerce. Les vulgarités habituelles des pouvoirs en place, les crimes minuscules ou immenses commis en son nom : le monde comme l’alibi commode. Et tout qui s’additionne dans l’indifférence comptable des jours. On voudrait sauver le jour au moins dans quelques lectures (aujourd’hui, les Brefs tressaillements dans la horde de Cescosse : méchanceté nécessaire, douce plutôt qu’aigre, méchanceté fine qui sait découper dans le réel les lignes exactes qui contourent sa honte, celle qu’on voue aux puissances (et qui n’est pas la même méchanceté des puissants sur nous).
Il faut bien des armes contre le temps qui s’enlise et s’enfonce comme de l’eau douce dans le sable. Les heures font basculer les saisons, et septembre hésite entre la douceur du jour et l’ombre qui monte des pierres et jette ses grandes eaux sur la terre sèche. Traquer les signes. Le vol d’un oiseau qui traverse la vitre, l’angle que fait la lumière sur la page ouverte, le bruit de la pluie qui fait résonner la phrase en soi. Livres qui tressaillent et font signe depuis leur solitude vers nos solitudes partagées. La pluie continuerait. L’eau tomberait toujours autant vainement dans l’eau. Une goutte après l’autre, ce qui se remplit et ne déborde jamais, mais monte en soi, terriblement.
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Jrnl | ou au milieu des tombes
[25•09•11]
jeudi 11 septembre 2025

Aux urbanistes futurs, nous demandons de ménager un cimetière dans la ville où l’on continuera d’enfouir les morts, ou de prévoir un columbarium inquiétant aux formes simples mais impérieuses, alors, auprès de lui, en somme dans son ombre, ou au milieu des tombes, on érigera le théâtre. On voit où je veux en venir ? Le théâtre sera placé le plus près possible, dans l’ombre vraiment tutélaire du lieu où l’on gardera les morts ou du seul monument qui les digère.
Jean Genet, L’étrange mot d’… (1967)
Si le vent est la respiration des arbres, et la mer la salive du ciel, les pierres le morcellement muet des choses, le feu la mémoire perdue des origines, la nuit le pli secret où le jour se terre, la pluie l’écriture fragile de ce qui n’existe pas encore, le corps le tremblement passager de ce qui se cherche, alors qu’il n’en reste rien, ou tâche à nous autres de faire du vent ce qu’on ne verra jamais, et de la mer, ce qui s’éloigne, des pierres un ressassement et du feu la brûlure, de la nuit des matins et de la pluie la soif, du corps une évidence, du reste, ce qui reste.
Devant le cimetière donc, l’inscription : conservateur. Songe d’un cimetière progressiste — et les mesures promises pour cela. Un cimetière révolutionnaire : on rêve de tombes en cercles, d’amitiés jurées sur la pierre, de morts qui ne le sont pas en vain, de cendres qui seraient chaudes. Mais non. Le cimetière conservateur demande des autorisations pour venir entendre les arbres trembler au milieu des travaux de la ville trop proche.
Renoncer à tout espoir est la condition qui permet que tout s’ouvre enfin — de même, abandonner la tendresse, la sagesse au premier venu, et alors : et alors cela se passe de mots. Ce à quoi il est encore impossible de se passer : la mélancolie devant le soleil couchant et l’idée de faute — ce qu’on traverse et nous traverse en retour, une lame sans tranchant qui entaille.
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Jrnl | Qu’est-ce qu’on a vu voler ?
[25•09•10]
mercredi 10 septembre 2025

D’accord, j’admire la trajectoire ;
mais je pose la question :
qu’est-ce qu’on a vu voler ?
Arthur Schnitzler, Livres des dictons et des doutes (1927)
Entre la ville et elle-même, ce bras de mer. Il fait toujours le même geste pour écarter la possibilité d’un lendemain — comme dans l’air celui qui chasse l’air et la mauvaise idée de jeter le monde dans le fossé, vous n’y pensez pas, soyons raisonnables, et qui, du même geste, chasse la fumée de sa cigarette en rêvant à l’intérêt qu’il y prendrait, peut-être. Bras de mer qui pourrait tout aussi bien enlacer pourtant (ici, c’est moi qui rêve), dire que cela ira : que cela ne pourra pas toujours ne pas aller — ce bras de mer esquisse d’ailleurs parfois ce geste, avant de l’enfouir en lui, de honte, ou rempli de pitié pour moi.
L’odeur de la barricade — pièce de clavecin en si bémol majeur composée par François Couperin en 1717, modèle du style brisé qui porte la signature de l’art baroque français inspire encore : Odore Scola propose son eau de Cologne « Les barricades mystérieuses » au prix de cinquante-quatre euros et s’en explique : « Mystérieuse, énigmatique, cette fragrance chyprée mêle la bergamote et la rose au patchouli et notes boisées intenses. Une belle Eau de Cologne de caractère qui dévoile peu à peu sa belle complexité. Son accord charismatique à la vivacité mélancolique rend hommage à la création de François Couperin. Cette composition remarquable s’adresse aussi bien à l’univers féminin que masculin et son parfum ne laissera personne indifférent. » Et puis ? Le mystère des barricades demeure, et son odeur de rage et de sang : on dit que Couperin avait bâti une barricade à l’harmonie de base, faisant entendre une impasse énigmatique — comme on ne sait pas, on fait d’autres hypothèses : que les barricades désignaient peut-être pour lui l’entrave entre soi et l’autre, entre le passé et l’avenir, entre l’immanent et le transcendant, ou ce regard des femmes : comme on ne sait pas, on s’en remet aux mystères. Une barricade n’a pourtant rien d’une énigme : elle ne se dresse que pour donner l’assaut et être abandonnée.
Je m’en remets aux boucles sérielles de Löffler ce soir : les portails qu’elles ouvrent, les limites qu’elles affrontent, les forces qu’elles donnent malgré tout.
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Jrnl | De mille mythologies immobiles
[25•09•09]
mardi 9 septembre 2025

Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d’une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l’infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobilesGuillaume Apollinaire, « La maison des morts », Alcools (1913)
Les signes perdus comme des plumes d’oiseaux fabuleux sur les trottoirs des villes, les volets arrachés des maisons abandonnées à la montagne, l’odeur du bois mort dans le petit matin sur les pentes, celle du kérosène derrière la file impatiente des stations-service, de la poudre devant les façades des parlements, de l’arrogance sous les toits des parlements, des cris de joie d’enfants emmurés dans les écoles, la vitesse qu’on reçoit au visage quand on roule toutes vitres ouvertes depuis l’Estaque vers l’autre bout de la ville et qui disperse les pensées — les corps immenses peints dans la Plaine étendue par-dessus le passé et ses impossibles regrets — tout ce qui fabrique un monde dans le désir d’autres, et qui résiste au désespoir et à l’espoir également, et qui tisse dans le rêve comme dans la veille cet état d’apesanteur par quoi je reçois la réalité comme extérieur à la vie.
Du mot conjuration et de ce qu’il appelle : les complots et les sortilèges, la forclusion du sens et son expulsion, les serments devant le feu, les sanglots pour détourner la fatalité et qui la précipitent.
« Septembre en attendant la suite/Des carnages, il se peut/Qu’arrive la limite » — septembre au rendez-vous des éprouvés : tandis que les discours discourent dans le vide qu’acclament ou que sifflent des députés à bout de force après un siècle et demi d’efforts à empêcher qu’advienne le monde, il se peut qu’on soit déjà de l’autre côté, de la limite.
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m’accostèrent
Avec des mines de l’autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagoriqueG. A.
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Jrnl | Une seconde d’éternité
[25•09•08]
lundi 8 septembre 2025

Ce sont les mêmes substances qui atomisent un corps et le transforment en poussière d’étoile. Les récits qui explique comment l’univers continue de s’agrandir me permettent maintenant de m’en aller plus facilement, cette pensée que nous sommes une partie d’un seul et même infini. Je me dis : quoi qu’il nous arrive, il ne s’est écoulé qu’une seconde d’éternité.
Sara Stridsberg, L’Antarctique de l’amour (2018)
Rouler le long de la mer ce matin – et ce soir –, comme longer ce qu’on ne rejoint jamais : la route s’incline vers elle et me tire ; toujours cette impression d’arriver trop tard, courir derrière l’heure qui tombe devant moi, d’attraper l’air au vol et le ciel encore un peu ouvert, et la mer posée à sa place d’éternité indifférente aux minutes perdues, mais où ?
Le monde comme cette expansion qui n’en finit pas, mouvement dont nous sommes la trace. Chaque retard est peut-être la vraie mesure du temps, cette impossibilité de coïncider avec ce qui passe. Nous tombons toujours d’un cran, comme les gouvernements qui s’écroulent avec la gravité grotesque des farces : chutes mal jouées, trébuchements ridicules, et chaque effondrement entraîne le sol avec lui. Marcher, c’est tomber et se rattraper à la dernière seconde, et aller. Il y a ce visage, posé sur le carrelage des toilettes d’un café, qui me regarde. Et ma silhouette qui entourait ce regard comme si j’étais son corps, et ce regard était mon regard. Le long du temps court aussi ce qui glisse dans chaque retard et chaque pas, chaque vague de fatigue.
Il y a donc cette fatigue qui colle aux os. Pas une lutte héroïque, seulement un combat de chaque instant et pied à pied : avancer d’un pas, d’un autre, tenir la ligne de crête de la veille. Les jours se succèdent comme ces « secondes d’éternité » qui finissent, dit-on, par composer l’infini. Alors se laisser porter. On dit aussi (on dit tant de choses) que si l’on est emporté par le courant au large, il ne faut surtout pas nager, mais rester immobile. La mer finira de guerre lasse par nous recracher. Faire la planche, le dos rond, regarde le ciel d’en bas, une vague après comme des mots que les mots ne peuvent retenir, ou alors un instant, poussière du monde qui s’éparpille.





