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contredire le soleil du solstice
dimanche 24 décembre 2017
Gaston Bachelard, L’Air et les Songes
Björk, Solstice (« Biophilia », 2011)
C’était il y a trois jours, le solstice, mais non : le soleil se couche plus tard depuis le treize ; mais non : les jours ne commencent à s’allonger que depuis deux jours – alors dans la grande horlogerie du temps et des saisons qui ramène la vie à ce qu’elle est (ce chaos terrible des recommencements) plutôt qu’à la ligne droite vers la fatalité, on est face à quoi on est depuis le début : le désarroi, et le désir.
Le vingt-et-un décembre à dix-sept heures vingt-sept et cinquante-huit secondes, le solstice d’hiver tombe sur nous comme la nuit sur le jour, ou est-ce l’inverse. Nous entrons dans l’hiver astronomique (ceux qui savent, mais ne nous disent rien, savent que l’hiver météolorologique est déjà parmi nous depuis le premier décembre). La terre est alors inclinée le plus loin du soleil — prête à basculer ; le soleil est si bas qu’il pourrait mordre ; il se lève presque au sud, se couche presque au sud aussi. Et tout recommence.
Dans la folie de ces jours atroces, la mathématique précise des étoiles rassure et console : chaque jour, nous gagnons quelques secondes de jour : être là pour les voir. Mais quand ? J’apprends — décidément, ceux qui savent possèdent leur secret qu’il faut percer — qu’il y a plusieurs crépuscules. Un crépuscule civil [1], un crépuscule nautique [2], un crépuscule astronomique [3]. Il en va du soir comme de nos vies : choses incertaines et mouvantes dans la mouvance incertaine des choses.
Je lis cette phrase, écrite par les savants qui savent les secrets des jours :
« Pendant des milliers d’années, l’homme s’est appuyé sur la durée du jour pour partager le temps. Mais, depuis que les atomes battent la mesure, il faut surveiller de près le décompte des secondes pour ne jamais voir le Soleil se lever à minuit. »
Ceux qui possèdent le secret de la nuit n’ont pas les mêmes scrupules, qui battent la mesure de l’épuisement pour lutter contre elle.
Si on achève l’année épuisé, c’est parce qu’on croit qu’elle est un bloc d’énergie qui commence en janvier et se termine en décembre. Il faudrait plutôt croire en l’histoire des secondes et des courbes battues dans la relativité des vents solaires.
Il faudrait aussi se servir du miracle du jour qui sur la pointe la plus resserrée du temps se met soudain à grandir pour tirer leçon contre le monde : s’appuyer de toutes nos forces contre les secondes arrachées à la nuit comme on précipiterait les lâchetés du réel dans un grand trou noir, qu’on enjamberait en hurlant.
La nostalgie est une structure du temps humain qui fait songer au solstice dans le ciel.
Pascal Quignard, Abîmes, 2002