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imagine (marcher, la nuit roule dans mes yeux)

mercredi 11 juillet 2012


Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère.

Rimb. Une Saison en enfer

Oui, allons, marcher sur les mots de la ville comme des armées marchent sur une ville [1], et comme moi je m’arrête un peu, là, sur cet endroit de la page où je m’effondre ; non, ce soir, je n’irai pas plus loin : ce soir, je m’arrête sur la liste des prières de l’Islam, comme c’est étrange (et essentiel, évidemment) : je rêve sur leur nom moi aussi, mais je ne comprends pas le sens de cette Liturgie ; demain, peut-être, le secret s’ouvrira, et sinon, on rêvera sur d’autres secrets qui ne s’ouvriront jamais, ce sera tant pis pour moi, et non pour les prières.

À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? — Dans quel sens marcher ?

Par ici (le vrai amour) par là (le vrai amour), et partout, de la ville haute qui détourne les nuages, ou est-ce le ciel qui n’est pas assez haut. De l’autre côté de la mer, il l’était. Et au sommet du col des Moines aussi, je pouvais le toucher. Ce soir, je pense à ma fatigue de ce jour infini de marche infinie dans des montagnes que je ne vois plus que sur l’écran (alors que l’aube se levait sur elles et sur moi, jadis, si je me souviens bien). Je pense à cette fatigue et des images qu’elle fabriquait en moi quand allongé dans ce refuge, il fallait reposer le corps pour recommencer demain la fatigue, et que rien ne venait du sommeil que des images du jour passé, d’épuisement. Car impossible de dormir ; peut-être étais-je trop fatigué (comment-est-ce possible de ne pas pouvoir dormir d’épuisement ?)

Désormais que je ne marche que sur le bout de mes doigts à taper les phrases infatigables qui sont le chemin et le corps, et le but et le ciel, j’ai perdu le sens de ce combat. Mais ce soir, je pense à cette fatigue qui descendait dans le corps et m’empêchait de sombrer, et je la tiens contre moi, pour toujours ; elle me rehausse. Je la vis en dehors de moi et je tiens à cette vie comme en celle qui seule importe.

Imagine, dit la ville. Et la fille marche, au loin d’elle, pour se rejoindre peut-être. Le regard porté sur le but. Elle ne voit pas le mot. Moi, en travers de la route, de sa gorge, je vois tout, vole tout. C’est parce que je suis immobile dans mon corps. Invisible dans la lumière de chaque mot. Je vois bien que la foule avance quelque part dans l’histoire. Je compte les prières, comme des échafaudages, des boucles de cheveux perdus, qui s’éloignent déjà. Je ferme les yeux, les collines dans la nuit n’ont pas formes différentes. Ni les déserts, ni les lacs, ni les phoques alanguis. J’ouvre les yeux ; le lit vide de rouge et de chaleur, de désir où je sombre, déjà [2].

Assez ! voici la punition. — En marche !

Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur... les membres...

Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes... le temps !...

Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. — Lâches ! — Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
Ah !...
— Je m’y habituerai.

Mais si cette habitude devait me prendre toute une vie ?

(Oh, alors je la prendrais !)


[1en français dans le texte

[2car il sent marcher sur lui d’atroces solitudes