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In absentia (de quelque chose noir)
mardi 18 février 2014
Cinq heures du matin en sursaut, quelqu’un rentre dans la chambre (c’est personne, c’est le rêve, c’est l’absence de personne, c’est quelque chose dans le rêve qui appelle et réveille et ensuite empêche à la fois de se lever et de s’endormir). Une peur d’enfant. Et tout ce noir autour ; je tends la main et prends la photo. L’image est bleue.
Évidemment ce n’était pas un cadeau ordinaire. celui de me livrer, à cinq heures du matin, un vendredi, l’image de ta mort.
Pas une photographie.
La mort même même. identique à elle-même.
Je ramasse au pied du lit le livre de Roubaud que je voulais relire et dont je n’ai pas ouvert une page, hier — à la place, le Danton de Wajda, terrible et doux, devant lequel je me suis effondré. J’ouvre le livre qui s’est toujours un peu confondu en moi avec une autre élégie tendre et cruelle, le chant de Michaux de Nous deux encore [1] Le requiem de Roubaud pour Alix parle soudain de ce qui m’entoure, ce qui se recouvre, ce qui advient aussi du noir quand sur l’image il ne l’est pas, si noir — au contraire.
Gouffre pur de l’amour.
S’endormir comme tout le monde. ce que je veux.
Je t’aime jusque là.
De loin la bouffée de silence qui me vient est bouffée de lenteur de ce qui est loin, et dont je m’approche en pensées lentement, et je vais m’endormir dans cette pensée, tout à l’heure — mais pas tout de suite, pas tout de suite.
D’abord j’ouvre la fenêtre pour regarder dehors la ville morte elle aussi noire, noire de suie noire plus noire même — sauf la lune, qui vient poser les yeux sur moi.
De ne pas rester acceptant que tu n’es pas, le silence
Mais ignorant, ignorant ce que serait le contraire du rien de toi
J’écoute un peu de musique qui font danser les ombres, et reculer la nuit encore ; je m’y installe comme dans une maison étrangère. Je ne sais pas quelle heure il est et peu importe : il pourrait être deux heures ou six heures, c’est pareil : c’est la nuit noire, c’est cette heure-là, elle est une seule coulée de noir où je reste le seul éveillé sur la terre. Et la pensée du loin me tient vivant parmi les endormis.
Te nommer c’est faire briller la présence d’un être antérieur à la disparition
Le lendemain, je me surprends à posséder de nouveau une montre, après un mois sans — le temps bat la mesure du poignet, et avance sur moi à sa lenteur de tigre et d’éléphant, et je suis moi, à l’une des extrémités du temps, je ne sais pas laquelle ; non, je ne sais pas si cela commence, ou si je suis l’aboutissement de mon passé, je ne sais pas. Je regarde le mur sur le mur : il est d’une blancheur qui s’effrite. Je pense aux bouffées de silence encore, et de lointain.
Dehors il fait grand ciel et je m’en vais.