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infusez davantage
mercredi 3 mars 2010
"Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage."
Cette phrase d’Henri Michaux, je la voyais tous les jours ou presque, en grandes lettres bleues (ou rouges ?), majuscules bien formées à la main, sur trois lignes droites et précises, affichées à la porte de cette chambre au milieu du couloir de l’internat : "Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage."
Je connaissais mal la jeune fille de cette chambre — et les deux ou trois fois où l’on parlera ensemble, ce sera de Michaux, de cette phrase et de ce qu’elle portait. J’avais avec moi Passages, ce livre dans la collection Imaginaire qui ne m’a pas quitté depuis mes quinze ans (ne m’a pas quitté depuis, et pas une semaine ne passe, je crois, sans ouvrir une de ses pages : j’avais commencé à mettre des croix en marges, face aux paragraphes de plus haute incandescence en moi, et je crois avoir annoté chaque ligne). "Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage".
Je sais la page et la hauteur sur la ligne où la phrase commence. J’ai oublié le nom de la jeune fille, et son visage : je me souviens cependant qu’elle m’a mis entre les mains ce texte, nous deux encore, et il m’arrive dans les rêves les plus proches du réveil de réciter les premiers mots [1] — et toujours ce qui les entoure, les permet : "Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage."
Phrase en forme d’impératif catégorique, humour oblique et conjurante : ne pas rendre les armes au jour qui l’exige, et forcer, forcer encore la dilatation de la fatigue pour faire encore, ce que encore on ne peut faire : et après l’impossible, d’autres territoires : ce couloir de l’internat, cette phrase à cette porte, et tout ce qu’elle appelle quand on l’ouvre, prolonger le parfum du jour et lui résister, le recouvrir pour mieux l’absorber. Et toujours, en résistance à la fatigue, en geste pour la refuser, élégance de substituer à l’épuisement, l’encore qui le renouvelle : "Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage."