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Jrnl | Dans cet état de somnolence hallucinée
[03•02•23]
vendredi 3 février 2023
… dans cet état de somnolence hallucinée que nous dispensait la monotonie du voyage, nous constations que l’espace dont nous pensions être les fondateurs avait toujours été là et qu’il consentait seulement à se laisser traverser avec indifférence, sans rien garder de nos empreintes et dévorant même celles que nous y avions laissées exprès afin d’être reconnus de ceux qui viendraient après nous.
Juan José Saer
C’est aller sans clé dans cette vie, sans rien d’autre que le manque de la clé — membre fantôme qui démange, vieille blessure dont on aurait perdu aussi le souvenir de la bataille —, on ne saurait pas vraiment où est la chambre, l’appartement, quel étage ou sous-sol et peu importe, c’est aller [1], et la ville tout autour dérive lentement, elle s’éloigne déjà, elle n’est plus que ce point à l’horizon à partir de quoi la solitude commence, et c’est cela qu’on appellerait d’un mot qui est le contraire de mourir et qui n’est pas vivre, tout autour les gens rentrent, ferment derrière eux la porte, allument la lumière, et d’un geste terriblement définitif et triste, ferment à clé.
Le seul rêve obsessionnel que je ferai toute ma vie sera donc celui-là, qui me laisse au-dessus du Parc de Sceaux dans la chambre d’internat parmi les livres ouverts, la nuit venue, des cris dans le couloir que je suivrai jusqu’à m’enfoncer au-dedans de ce corps ouvert, déchiré, saignant encore de mes vingt ans.
Cette image enfin, tandis que je laissais seules mes pensées se répandre en moi au volant dans le demi-jour levé sur Saint-Victoire : des dizaines de serpents entreraient à jardin sur le sol en poussière de la Cour d’Honneur du Palais des Papes dans le bruit que font des dizaines de serpents dans la poussière d’été, et glisseront le long du plateau jusqu’à cour — le temps qu’il faudra pour faire venir du théâtre autre chose que des corps, des paroles, et tout le contraire même : ensuite seulement, ça pourrait commencer.