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la fin possible de l’effroi
[Journal • 21.07.22]
jeudi 21 juillet 2022
La terreur belle c’est-à-dire montrée comme inutile
Car la réalité doit être rendue visible
Pour pouvoir être transformée
Mais la réalité doit être transformée
Pour qu’on puisse la rendre visible
Et le beau signifie
La fin possible de l’effroiHeiner Müller, « Coriolan Schall » (Poèmes, 1949-1995)
Avignon, retour dans la fournaise [1] ; l’enfer des rues pavées accablées de chaleur et piétinées par les foules, à rechercher désespéremment l’ombre et la solitude, la trouver parfois sans parvenir à tenir éloigné vraiment le bruissement toujours persistant —assister, malgré soi au jeu de massacres qu’est le marché à ciel ouvert d’un festival du marche ou crève, où tous les moyens sont bons pour survivre quand on sait que, comme toujours, seuls les déjà plus puissants s’en sortiront indemnes, et les autres ? — les murs sont couverts des mêmes affiches depuis cinquante ans et chaque année les tapissent davantage ; la chaleur est plus forte aussi, on regarde les arbres promis à quelque incendie du futur déjà avancé sur eux, le thé glacé est brûlant, je lis des entretiens d’Heiner Müller en cherchant des questions aux réponses qui partout se dressent avec arrogance ; ce soir, j’écris en attendant le début du spectacle qui attend que le jour tombe : quelle allégorie ?
Qu’on aime ainsi le théâtre me sidère, me désole aussi, je dois l’avouer : dans la longue rue de la République, on fera recette, sans doute, de spectacle graveleux ou débonnaires, insignifiant sans doute, quand deux rues plus loin, une compagnie aura peut-être travaillé plusieurs mois avec acharnement pour jouer le plus beau des théâtres devant quatre spectateurs et se ruiner pour cinq ans ; c’est le jeu : on peut aussi juger les règles désolantes, mais qu’on n’exige du théâtres que la beauté ravageuse et indiscutable, ou rien, on finit fatalement par chercher l’ombre et les forces loin des chapelles d’Avignon, à se demander qu’attendre du théâtre : et qu’en faire s’il n’est que du théâtre ?
Atelier de la pensée autour des dramaturgies contemporaines chinoises, au cloitre Saint-Louis : le metteur en scène Meng Jinghui (il ne parle que chinois, trois quart de la salle riront aux éclats à la moindre de ses phrases : la traduction différée ne rapportera que des banalités la plupart du temps : quelle belle idée de théâtre) possède cette intelligence que manient ceux qui savent qu’il ont devant lui sans doute, cachés dans la foule, des représentants du gouvernement chinois à l’affût de la moindre parole, et répondra avec doigté à une question sur « ce qui le met en colère » : moi-même, et l’insuffisance des autres, dira-t-il à peu près, ajoutant (mais j’interprète peut-être, avec mes propres insuffisances et colères envers moi, les approximations de l’interprète) que la force de la colère, c’est que le corps en garde une mémoire, mémoire qu’on peut à tout moment rappeler à soi, et aux autres.