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la levée des étangs

mercredi 25 août 2010

Si on pouvait faire tenir ensemble « demain » et « aujourd’hui », on rattraperait sûrement « après-demain »

Henri Michaux



The Greatest (Cat Power, ’The Greatest’ (2005)


Aux endroits de plus basse terre, il n’y a rien d’autre à faire que se tenir devant, avec toute cette tâche d’homme que tu as amassée dans la chemise et qui suffit à te porter jusque là, et je me penche, forme un creux avec la paume de mes mains pour prendre de l’eau — quand je lèverai les bras jusqu’à mes lèvres desséchées et presque mortes, il ne restera qu’une goutte, mais ce sera celle-là que je suis venu chercher.

La nuit, les étangs se lèvent et disent : « Nous ne sommes plus morts ». Ils se lèvent, rassemblant l’eau autour d’eux comme des plis. Leur trou est immense, eux partis, qui penchés comme des barriques et hauts comme des cathédrales s’en vont roulant et tobogannant sur les routes, où circulaient le jour tant d’autos conduites par des aveugles aux lunettes vertes.

Descendre encore dans la terre, cela voulait dire s’avancer dans l’eau, et poser un pied plus bas que le niveau de la mer, et s’enfoncer — si le corps est immergé en partie, le buste est encore là pour parler et voir tout cela qui se répand dans l’immobilité, avec les étoiles à la surface de l’eau. S’il ne devait plus y avoir de beauté ici-bas, on se jetterait du haut des plus bas immeubles. Il en reste encore un peu pour croire encore aux défaites possibles, aux échecs à venir et si clairs d’avoir été entrepris, si purs encore de n’avoir pas été vaincus.

Au petit matin, les étangs d’abord limpides, remuent et ramènent à la surface (ce sont des fourmis qu’ils emportent), se sentant affaiblis par ce poids, ils disent : « On partira pour tout de bon demain, oui demain. »

Je m’avancerai dans le noir de l’eau jusqu’à ce que ma bouche atteigne le niveau de la mer et j’ouvrirai les yeux sur les profondeurs.

C’est ainsi que le matin ils sont tous revenus à leur trou, en écartant les roseaux ; mais, s’il y a sur l’étang des canards, comment tout ça se passe-t-il ? [1]

[1_H. Michaux, « Principes d’enfant », 1925.