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le temps aura passé (comme une déchirure)
lundi 19 août 2013
Noyer le présent. Nous sommes les poissons de l’air.
Georges Perros, Papiers collés
Dans l’air, la possibilité arrêtée de ce qui va venir, la possibilité des autres qui autour s’éloignent, il est si tard, le matin n’a déjà plus dans le ciel trace de lune ou d’étoile, un seul nuage posé justement entre moi et le soleil, fatalement, arbitrairement, cette phrase qui se laisse écrire pour laisser croire qu’il n’y aura qu’une seule phrase, qu’un seul moment pour la fixer alors qu’elle est venue de si loin, de tellement loin qu’elle viendra ici s’échouer pour dire qu’ici elle s’est échouée, à l’endroit précis où je regardais la lune hier qui n’est pas là quand je voudrais qu’elle soit, et dise : je suis là aussi, et la morsure de la mer reflux dans le lointain.
De la solitude, je porte surtout celle des autres ; je m’en souviens. Dans ces jours qui se répètent, et qui appellent déjà au manque – et qui pourtant disent entièrement l’été deux mille treize, comment je l’aurais vécu, et ce qu’il aura marqué en moi : dans ces jours qui ne sont jamais les mêmes et dans lesquels je fixe le rituel comme une même blessure sur un corps toujours changeant, je vais comme en moi-même, aucun recours possible.
Par poignées de cheveux, le passé comme une déchirure [1].
Rêve de cette nuit : une histoire de voyage dans le temps, où du futur, je revenais dans le passé pour m’empêcher d’aller dans le futur aller dans le passé – au réveil, je n’avais toujours pas compris. Il y avait un long tunnel, je ne voulais pas entrer, avais tellement sommeil, m’allongeais, et j’étais incapable de dormir (au réveil, j’avais compris pourquoi : parce que je dormais déjà). Il faut porter ces mystères jusqu’à la nuit prochaine, qui se creuseront d’autres tunnels (étrangement, je suis fier de moi, de m’être allongé là, au pied de ce tunnel).
Dans trois semaines, le temps aura passé, et c’est incompréhensible. D’ici là, tout ce qui doit advenir, comme chaque mois, est considérable. Je pense au vieil homme qui tout le matin comme moi vient à cette table de café, toujours la même (la mienne est de l’autre côté de la terrasse). Il apporte un livre, le même, qu’il n’ouvrira pas, il boit son café, regarde les nuages se poser entre le soleil et sa peau, et quand il a fini, il s’en va. Je ne sais pas ce qu’il a fini. Sur l’écran de l’ordinateur, quelques phrases qui disent tout ce temps passé à lui trouver des raisons de passer et de nommer ce passage. Je pense ensuite à mon visage, allongé au soleil au pied du tunnel, les temps qui circulent. Les rêves qu’il faudra faire pour pouvoir l’oublier.
Dans le ciel ce soir, peut-être la même lune, et moi, peut-être le même, posé entre le sol et la surface de cette lune. Et moi marchant ici, pour là-bas, rejoignant, infiniment, ce qui me sépare, ici, de là-bas, l’écrivant peut-être le lendemain, pour n’avoir pas à le rêver.