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les aubes pas encore mortes
mardi 1er janvier 2019
« Jukes demeurait indifférent, insensibilisé, l’on eût dit, par la violence du cyclone, conscient uniquement de l’inanité de tout effort, de tout geste. Il tenait pour absorbante suffisamment l’occupation de préserver, de cuirasser son cœur tout gonflé de jeunesse, et éprouvait une répugnance invincible en face de toute autre forme d’activité. Ce n’était pas de l’épouvante, il le reconnaissait à ceci que, tout persuadé de ne plus voir la prochaine aube, cette idée pourtant le laissait très calme. »Joseph Conrad, Typhon
Molly Nilsson, Never Oclock
Que ce monde finisse - c’est toujours la même pensée, le dernier jour du dernier mois : l’arbitraire des calendriers a cet avantage au moins : il libère ces pensées rageuses de la fin –, et cette année, avec plus de rage encore, de précision : que tout finisse, pour que tout commence ? Que tout finisse d’abord, et que tout commence enfin ? encore ? Ou que le commencement précède la fin ? Peu importe l’ordre réel des choses : la nuit tombe.
Dans le parc, des vieillards parlent de la pluie et du beau temps comme s’ils vivaient encore, comme s’ils étaient sur le point de commencer à vivre.
J’écoute beaucoup de musique ces derniers jours pour garder le silence. Je lis Madame Bovary les larmes aux yeux – une émotion neuve ; un corps neuf ; des désirs neufs : est-ce le début ou la fin ? Je multiplie les questions [1] comme les parenthèses (pour m’y réfugier comme dans de la musique) parce que je sais les réponses, et le temps qu’il faudra pour les dire.
Les vieillards s’éloignent, au passage, j’entends les mots retenue à la source : je sais bien qu’ils ne parlent pas de fleuve sauvage, de courant maintenu par des barrières rocheuses : je sais bien. Ils se tiennent la main. Ils tournent le dos au soleil qui s’effondre. Et moi je lui fais face longtemps jusqu’à vouloir me brûler les yeux pour mieux le voir encore.