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solstice intérieur
jeudi 22 décembre 2011
Au jour le plus court, moi terrassé de la ville, jette un dernier regard au dernier jour éclairé en moi du temps passé à l’épuiser – toujours au solstice d’hiver cette sensation en moi : rétraction de toutes choses au dedans du corps qui signe la concentration extrême du temps : chaque seconde éprouvée en son entier, oh si rare cette sensation, et de douleur, l’épuisement du temps, briser le sablier découlé accéléré comme si la peau était une main tendue qui ne retenait rien que de la poussière de sable tombante toujours montante encore jusqu’au ciel descendu lui-même à l’encre : à peine levé le ciel, que déjà.
Tous les vingt-et-un décembre, mêmes sensations, mêmes morts intérieurs qu’il me revient de coucher, et de porter le deuil le soir venu décombres, mes mains en mausolée ; vieille superstition : le jour tellement rétréci, comment croire qu’il ne va pas rejoindre la nuit dans la nuit et s’y confondre, abîme, des corps à corps coïncidés au désir des morsures, des sexes de nuit et de jour entrelacés, éclats de jouissance à la jonction de l’œil, cheveux en désordre mêlés sous la brûlure de l’eau, lèvres absentes de mots qui disent : je suis à toi, maintenant ; oui, comment ne pas penser que le jour à force d’approcher la nuit ne va pas fatalement se retourner en elle et y dormir pour toujours. Tous les vingt-et-un décembre, moi, je suis le dernier croyant de cela, oui. Moi, je me tiens, vers cinq heures, fidèle d’une religion, litturgie au plus simple : je me tiens droit sur le bord de cette croyance, et je regarde cela, qui s’efface pour moi seul. Et c’est comme un spectacle qui a lieu pour moi seul. D’ailleurs, il a lieu.
Perdue la folie des sacrifices, des corps éventrés pour satisfaire aux dieux leur caprice de lumière : et que faire donc, désormais, pour que le jour revienne, dis moi – moi je dirais tous les mots qu’il faut. Il se trouve que le jour revient alors que je n’ai rien dit, ne sachant que dire. Je ne sais pas ce qui tient du miracle, ou du hasard : folie de cette folie qui n’obéit à aucune croyance.
Oui mais j’ai pour moi les vers de Sophocle : ce jour-là, ils sauvent. Chaque année, je dois me trouver un stratagème pour survivre à ce jour, pour accepter la rapidité de ce jour. C’est la leçon de ces dernières semaines : savoir accepter le mouvement, ce qu’il apporte, ce qu’il suscite. Le jour tombe, moi, je viendrai le ramasser là où il est tombé, à l’endroit précis de sa chute.
Le lendemain (aujourd’hui), le jour s’allonge comme un corps, le désir de ces coïncidences quand sur un corps il vient s’allonger : et allongé en lui le désir de lui appartenir. L’année recommence en moi ainsi, dans cette joie un peu vive des deuils qui inaugurent leur vie. L’année recommence maintenant, comme tous les ans pour moi maintenant, non pas le premier de l’an, mais dans le jour tombé du vingt-deux, quand il vient prolonger d’une minute le jour de la veille : c’est ainsi, comme dans Melancholia, la mesure de ce qu’on arrache à la lumière, que je mesure en moi ainsi : la vie prise de violence à tout ce qui s’y oppose. La renaissance est soudaine, violente dans le corps et l’esprit, salvatrice en tout.
Ou à la jonction des deux continents ?
Une ligne après l’autre arrachée dans ce deuil des morts en moi qui vivent pour toujours d’avoir été brûlés. Lumière du soleil invente en moi, à l’instant de l’année qui vient vers moi, la vie que je n’ai pas encore, que j’aurai, j’en suis sûr, puisque je l’arrache à cette lumière là, de cendres éparpillées quand je pose le premier pas.