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Une cérémonie | images des Jeux

Notes sur

dimanche 28 juillet 2024


Ils ont fermé la ville à double tour, laissé les clés aux forces de l’ordre qui ont fait tourner au-dessus de nous les hélicoptères de surveillance, évacué tous les sans abris et exilés qu’ils ont pu trouver, criminalisé le reste, ont nettoyé comme on fait le vide : et puis ? Sans rien oublier de ce qui reste avant tout une énième variation de cette opération de contrôle de la population qu’on nomme le pouvoir, il y aurait donc une cérémonie : de celle qui serve moins à raconter une histoire qu’à donner image, une image : mais de quoi ? Certains réclament que leur soit livré le Génie Français, le Roman national, l’éternité telle qu’en elle-même la domination se mire, s’impose. On le sait bien, depuis toujours, que ce Roman n’est qu’une fable et que le Génie une incantation qui n’existe que comme l’orgueil : pour s’aveugler de ses crimes. D’autres voudraient seulement la fête : des confettis jetés en l’air et l’ivresse. Mais on a vu autre chose : cette chose n’annulait rien de tout cela, mais parvenait à travailler l’image comme une singulière puissance de révélation. Le lendemain, les conservateurs et les réactionnaires s’accordaient pour vomir ce qu’ils ont vu : et qu’ont-ils vu ? D’autres corps traversant une histoire : des corps qu’ils voudraient voir disparaître, et qu’ils ont longtemps nié, battus, emprisonnés. Ces corps n’en sont pas moins, ce matin, devenus dominants : le pouvoir n’a pas changé de camp. Mais c’est la puissance d’une image, modeste et décisive : sa puissance de conjuration qui n’annule pas le réel, mais permet de l’envisager différemment, et d’y prendre des forces, pour plus tard.


Si l’enjeu d’une telle cérémonie [1] est de donner une image, celle-ci n’a pas à être vraie ou fausse, mais de construire des lignes de forces qui situent ceux qui les regardent. La puissance politique de ce moment tient à cette faculté à créer de la conflictualité dans le consensus.

Ceux qui se sentent agressés par l’image de trois amoureux ou par une joyeuse relecture queer de la Cène (le blasphème n’existe pas) [2] ne perçoivent pas que ce sont eux les agresseurs : qu’une image n’est pas une « promotion » [3], mais un reflet. Et qu’il y a un monde entre vivre un amour et s’acharner contre l’existence de ces amoureux, entre choisir librement son corps et lutter contre le droit de ses corps à paraître.

Une image révèle ceux qui l’observent. Marie-Antoinette chantant « Ça ira » le visage entre ses mains n’est pas un propos historique, mais un champ de force qui active dans le trouble une émotion indécidable.

Et si cette émotion est politique, c’est bien parce qu’elle déchire le corps social : qu’elle le révèle. Ceux qui auraient préféré voir un Roi en majesté sont renvoyés à leur misérable fable ; ceux qui considèrent que la violence mythique est fondatrice méditent sur cette vitalité.

Comme toujours le politique nait du rituel qui défaille : l’embarcation des réfugiés ouvrent le bal ; les Palestiniens défilent le visage grave ; les Algériens jettent des roses à l’endroit des massacres : péniches de touristes devenus radeaux naufragés.

La dialectique n’existe que dans la violence symbolique qui arrache à la situation ses évidences. Ainsi d’une chanteuse populaire méprisée par les réactionnaires et qui apparaît sortant du temple même de la réaction puis se mêlant aux forces de l’ordre.

On aurait tort de voir dans l’image une réconciliation : plutôt un champ de forces qui tient dans le cadre justement pour en révéler les tensions et les spectaculariser.

Et dans cet étrange et troublant mélange de la fête et de ce qui vient l’interrompre, de la joie et de la perplexité, de l’insouciance et de la provocation, pas juste des images, mais des images justes. Un cavalier de l’apocalypse au ralenti descendant à toute vitesse le fleuve.

Une embarcation à la dérive chante l’espoir d’une utopie au milieu des flammes et dans la nuit, sous des trombes d’eau qui n’éteignent pas l’incendie.

Et tandis que vocifèrent ceux qui voulaient une autre image (à l’image de leur délire de pureté purgeant toute altérité) d’autres images s’inventaient préférant la déliaison à la cohérence, l’interruption à l’enchaînement, le délire à la précision, la vitalité à la pétrification.

Quant à la dernière image : plutôt qu’une flamme qui brûle, une fausse flamme - une image de flamme - qui s’échappe, s’envole.


[1Orchestrée par Thomas Jolly et ses équipes.

[2Il s’agit d’ailleurs plus sûrement d’une citation d’un banquet grec à la Brughel…

[3Parmi tant de commentaires abjects, celui-là : comme s’il s’agissait d’imposer à tous une sexualité queer : voici ce que note justement Didier Da Silva « Le "prosélytisme homosexuel", ça n’existe pas. Aucune gay pride n’a jamais convaincu de devenir pédé qui ne l’est pas. Le militantisme gay, pardon de rappeler cette évidence (le mot "pride" est quand même un satané indice), ce n’est pas vouloir que tout le monde le soit, c’est vouloir que ceux qui le sont n’aient pas honte de l’être - en restant cachés comme la terre entière les y invite. Penser qu’ils en font trop, qu’on les a assez vus, c’est de la bonne vieille homophobie, point barre. »