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Aix | entre les toits, les draps défaits de la ville
mercredi 24 août 2016
[/Ce toit tranquille, où marchent des colombes, entre les pins palpite, entre les tombes
Paul Valéry, Le cimetière marin
/]
D’où vient l’appel quand, de la fenêtre, on a vue sur les toits ? Cette chance qu’on éprouve quand on vit auprès de cette vue : d’où vient qu’on l’éprouve comme un privilège secret, un peu comme un sacrilège arraché aux foules ?
On surprend cette chance parfois chez d’autres : depuis Aix par exemple, cette chambre avec vue sur les collines, le ciel : et sur la ville. Ou depuis Paris, immense : mais c’est un rêve, un désir jusqu’à l’horizon du petit jour.
Depuis les toits, l’océan de la ville, ces vagues de toits qui ondulent avec le soleil : cette lumière jamais la même. Et les histoires qu’on devine sous les toits tendus comme des draps : les drames et les amours dévorés sous les cris, l’ennui simple des vies ravagées ou apaisées. Face aux toits, le rêve puise au réel sa force de forer plus loin encore dans les vies. Face aux toits, on est comme arraché au temps et à la ville : on est celui qui étrangement leur donne sens. C’est le contraire du poème de Baudelaire : l’homme qui marche dans la ville et observe ce qui remue derrière les fenêtres. Ici, on a vu sur l’homme qui marche et sur les fenêtres : et personne ne nous voit.
Oui, il y a tant de désir, face à ces toits.
On voit la neige tomber et l’aube, et la nuit. La pluie tout ensevelir ; et le jour tout soulever. On devine les ombres des corps à travers des rideaux transparents : nus sans doute, comment le savoir ? Alors nus. On scrute sous ces ombres, d’autres ombres qui pourraient les rejoindre. Et les draps flottent : appellent plutôt que séparent. Rideau entre nous et ce théâtre : on rêve, on délire. On voit ce que personne ne verra jamais. L’appel est là : on veille, et c’est semblable aux rêves. Devant ces toits, comment dormir. Combien de nuits blanches faudrait-il pour apaiser le désir ? Elles ne sont pas nées, ces nuits. On mourra bien avant elles. Le rêve dans nos veilles continuera.
C’est l’image d’une vie possible : entre nos mains une tasse de thé brûlant, accoudé devant les toits, dévorer des yeux la sauvagerie douce de la ville livrée ainsi la peau nue : et demeuré invisible en ses entrailles. Devant ce seul spectacle valable : rester immobile dans le crépuscule ou le jour plein de midi, regarder les toits et la lumière, boire lentement le thé noir toute la nuit. Ou se réveiller dès l’aube pour en surprendre la grâce abandonnée.
Le drap défait derrière moi, et jusque dans l’aurore des choses, être à la fois l’amour et la poésie [1].
Ce titre d’un recueil oublié de René Char : Fenêtres dormantes et porte sur le toit. Y penser, l’oublier sur le lit, et regarder ces toits comme une autre vie.
[/Voir le silence, lui donner un baiser sur les lèvres
et les toits de la ville seront de beaux oiseaux mélancoliques,
aux ailes décharnées.
Paul Eluard, ’Sans titre’, Capital de la douleur
/]
[/J’ai la beauté facile et c’est heureux.
Je glisse sur les toits des vents
Je glisse sur le toit des mers
Paul Eluard, ’La Parole’, Capital de la douleur
/]
[/Quand notre ciel se fermera, Ce soir
Quand notre ciel se resoudra, Ce soir
Quand les cimes de notre ciel, Se rejoindront
Ma maison aura un toit, Ce soir
Paul Eluard, ’Notre temps’/]
[/Au sud, dans une anse,
l’amour secoue ses cheveux remplis d’ombre
et c’est un bateau propice qui circule sur les toits.
André Breton, Poisson soluble /]