arnaud maïsetti | carnets

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Dix-sept fois la vague

pas rare

jeudi 7 mars 2019

Sur une grande route, / 
il n’est pas rare de voir une vague, / 
une vague toute seule,
 / une vague à part de l’océan.
 / Elle n’a aucune utilité, ne constitue pas un jeu.
 / C’est un cas de spontanéité magique.

H. Michaux

Même mouvement toujours différent : il y a une leçon à tirer. Même mot pour dire ce qui ne sera jamais pareil : rien qui ressemble moins à une vague qu’une autre vague. C’est ce qu’on dit aussi pour le visage. Ce qu’on dit pour un homme. Un jour, une vie. Ces mots qui voudraient croire que c’est toujours de cela qu’il s’agit, d’un visage, d’un homme, d’un jour : c’est faux, toujours le visage d’un homme sera un autre. Il faudrait que chaque jour soit nommé différemment : avec ces jeudis et ces lundis, on croit retomber sur les mêmes heures : pareil pour les heures, il faudrait que chaque heure ait un nom unique, à valeur d’usage et définitivement épuisée une fois accompli. Ce serait une vie possible. Ça demanderait quand même un travail considérable d’invention. Je regarde les vagues. Quelques secondes suffisent pour en voir trois, cinq, douze, dix-sept. Je ne sais pas si je les prends toutes en photo : elles sont là. Sur l’écran, on peut refaire leur trajet, on voit leur vitesse dans l’image arrêtée, leur échec. Les vagues échouées juste à mes pieds, je ne les plains pas. Je salue leur courage. Je comprends leur nécessité, leur rage à chacune. Je suis chacune d’elle aussi. Et puis l’une va jusqu’à mordre mes chaussures. Je suis celle-ci davantage que les autres. C’est un pur désir. C’est une émotion aussi : reculer, revenir, repartir, prendre de l’élan, songer à ; imaginer que. Et mordre. Et mordre encore, comme sur la peau, les dents, sur l’épaule les lèvres qui boivent, désir qui voudrait ne faire qu’un : le sel sur mes chaussures a séché. La vague, ce n’est pas le déchet d’un mouvement : c’est cette rage-là.



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