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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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des chantiers qui s’ouvrent
dimanche 13 septembre 2009
Prendre ses distances ; déterminer les priorités : parmi elles, cerner les contours des plus importantes ; ouvrir les chantiers comme sur une carte chercher les endroits vierges, désirables, possibles ; avancer avec lampe frontale et pioche ; heurter ses propres convenances ; déchirer ses peaux mortes.
Et quand on a fini, éliminer encore : les taches superflues et les habitudes si pesantes comme de trop grands habits qui empêchent.
On regarde en face la lumière, on lui trouve des corps qui s’interposent entre elle et le regard : et ce qu’on va chercher, en traçant le contour des corps, c’est la trajectoire de la lumière. Ruse que j’adopte ce jour parce que je n’en connais pas d’autre pour ne pas être trop ébloui, aveuglé finalement : et pour mieux voir ce que la lumière projette d’ombres de son propre corps avançant, cherchant l’ombre d’autres corps.
Des chantiers qui s’ouvrent, non pas les aborder successivement dans l’arbitraire du caprice, mais ensemble parce que l’un ne pourrait se concevoir sans les autres, et se mener. Ce qu’on emporte avec soi d’inconnu dans ses taches est tout à la fois la raison et l’objet de ces marches.
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essai de formulation du jour
mercredi 9 septembre 2009
(à la main, le corps qui résiste à la phrase ; le corps qui empêche — et de l’empêchement ainsi éprouvé, dans la main, le bras, jusqu’au crâne, ce qui s’écrit serait moins la phrase que l’empêchement surmonté, ou plutôt évité, les routes qu’on a prises pour lui fausser compagnie. À la main, la douleur du crâne qu’on échange un temps avec la formulation du jour : monnaie de singe)
« On se réveille dans le noir et ça ne change rien. Le noir des yeux fermés se change en noir de la chambre étalé devant les yeux ouverts. Face à soi, on ne trouve qu’un mur noir coulissant du soir sur le jour, l’opacité invisible de la nuit encore. De l’autre côté de la fenêtre, le bruissement continu du dehors, du matin qui va commencer sur le soir presque achevé. Le commencement se heurte pourtant à son imminence. Le matin n’a pas encore eu lieu — on se retrouve quelque part jeté dans le jour ; assignation du matin qui tarde ; non-lieu à statuer.
(...) En soi une voix pourtant. En soi la voix qui commence, qui dit état des lieux du réel, faire l’état des lieux du réel, maintenant. La voix qui vient du rêve : non, plutôt la voix du rêve qui continue, mord sur le jour pour dire : et trancher — état des lieux du réel ; on n’y échappera pas, d’ailleurs la voix continue et répète la phrase.
(...) On vient de se réveiller et la voix lance, comme une douleur ; au juste, impression d’emblée que c’est la voix qui nous a projeté là, et qu’on se trouve réveillé par cette phrase, mauvaise alarme qui ne cesse pas. (...) »
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volets tirés
vendredi 4 septembre 2009
On reste un instant sans mouvement, attendre que cela passe, la douleur et la phrase qui l’emportera. On se trompe ; la phrase (qui dans le rêve nous a sorti du rêve) appuie de tout son poids pour accentuer la douleur encore, on laisse faire. On finira par l’écrire — et toutes les autres qu’elle tire après elle.
On sait bien qu’on ne se rendormira plus. Dans le noir qu’on n’apprivoise pas encore, la nuit, pour tout le reste de la nuit, est terminée.Les murs de la conscience fermés, volets tirés sur toute lucidité : la main écrit devant soi les mots que le poignet dessine, et ce à quoi on assiste, c’est moins la mise au clair de la pensée, que la trace qui efface peu à peu la pensée, qui repousse la parole jusqu’où la peur, la douleur et le corps vont parfois dans le souvenir.
Quand on se redresse au petit matin, sur la page, ce n’est pas écrire, et passé de l’autre côté des heures, ce n’est pas d’avoir écrit ou d’avoir raconté : c’est tout le récit d’un mur autour duquel on aurait construit trois autres murs — et dans l’espace patiemment élevé, on l’aurait habité un peu, et quitté avec le jour.
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quand on fait silence en soi trop longtemps
mardi 1er septembre 2009
Chaleur par nappes ici, par effluves, ou par vagues, les images sont comme le vent, elles viennent sans cesse, sans effort : et recommencent. La chaleur recommence, oui — c’est une autre image de la ville.
Une semaine loin d’ici, sans écran ou presque — alors quand je reviens, cet écran comme une pièce laissée un peu en l’état, les fenêtres fermées, l’odeur un peu tenace d’un endroit clos et délaissé : cet écran comme en rêve on oublie son nom.
La chaleur retombe en grand bruit d’orage sans eau le soir, et le matin, on voit sur le sol des flaques sèches - on n’a pas entendu la pluie. Le ciel est plus clair encore que la veille, nettoyé ; mais il fait encore plus chaud, et ça n’a servi à rien.
Quand j’ouvre ici la pièce, que je me pose devant l’écran, les mots qui tombent, je ne sais pas depuis quel hauteur ils arrivent (mais écrire plus de pages en deux heures ce matin, que la semaine précédent le départ : c’est un fait) — si comme en physique la chute dépend de la hauteur, et l’intensité de l’énergie et de la vitesse avec laquelle s’effondrent les corps : je ne sais pas.
Quand on fait silence en soi trop longtemps, il arrive des orages sans pluie qui rendent la ville visible par moments : dans la nuit sale et moite d’été, la lumière la plus intense est aussi la plus courte.
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de la plus haute tour
vendredi 21 août 2009
De la plus haute tour, on se tiendrait au-dessus du vent : on ne verrait de son ombre qu’une petite tache de sueur enfoncée dans le sol ; on serait là en bonne place pour le regret — de là, le sol paraît si loin et le ciel possible : la chute si désirable qu’il suffit de se pencher pour voir son corps tomber.
Oisive jeunesse
A tout asservie,De la plus haute tour où je suis (chaque ville fait une place dans ses périphéries un peu honteuses à la plus haute tour : je ne mets jamais longtemps à la trouver), d’où je crache sur mon ombre tant que je peux pour conjurer la chute, je ne vois rien de la plaine au-loin, rien de la ville : qu’une étendue de terre aussi semblable qu’une autre étendue de terre — sur elle dansent un peu les ombres qui se lassent vite et s’effacent ; dans la nuit, on perd son ombre au pied de la tour : elle paraît aussi grande que l’ombre effacée de la tour, celle de la ville. Ce qu’on perd avec son ombre dans la nuit, c’est la mesure de la chute : dix mètres, cent mètres, c’est le même gouffre noir qu’on interroge.
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.De la plus haute tour désormais (c’est le seul le lieu où le regret se dit, où désormais est possible : le seul lieu détaché des lieux ; il n’y a de la place que pour un seul homme, une solitude érigée en espace de veille, d’où la ville est trop basse pour être veillée), ce à quoi je rêve : les distances abolies, les crevasses sans bord, les chutes qu’on ferait au fond de soi, le sol qui s’éloignerait dans la chute, le sol qui s’effacerait à mesure que les yeux ouverts dans la vitesse on approcherait de son ombre sans jamais l’atteindre.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent. -
dans la chaleur
mercredi 19 août 2009
Les murs se rapprochent à mesure qu’on avance dans la ville : ce n’est pas une image, c’est ce qu’on éprouve quand, dans la chaleur, on essaie d’atteindre son coeur.
Les battements réguliers irriguent tout le corps, on se sent tomber — on se trompe ; c’est le corps qui tombe sur lui-même. Qu’on appelle ça marcher, c’est le mystère : mais enfin, ça fonctionne pour le moment.
Quand on fait silence, c’est toujours elle qu’on entend : la ville et dans la chaleur, les roulements souples de la machine : une rue, une voiture, une affiche qui hurle, les volets fermés qui se ferment encore sur la façade plus fermée que le poing. On fait silence et c’est la ville qui parle dans notre gorge.
On avance, on appelle ça continuer.
On l’écrit en retour, on est soi-même le battement et soi-même le cri produit par le battement ; aux tempes, ce qui bat, c’est un autre pouls que le sien. Et ce qui s’écroule sur la page, c’est la chute de la ville sur elle-même. Quand on cherche à rejoindre ce mouvement, on appelle ça écrire.
À la fin, le nom qu’on lui trouvera, à la ville, on l’attribuera au texte ; les murs fermés ouvriront une porte qu’on fermera derrière soi : et quoi devant ensuite ?
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injonction
lundi 17 août 2009
Dans la secousse du réveil, ces mots viennent seuls, l’injonction : état des lieux du réel prend toute la place ; et avec le silence qui suit, la forme brute et folle que cela prend : dans la ville, aller vérifier que chaque chose est à sa place.
On se dresse au milieu du bruissement sourd que le rêve traîne après sa fin, on est seul avec lui un moment. On attend. On ne sait pas ce qu’on attend — on est là, dans l’abrutissement vague et sans contour d’un réveil aussi banal qu’un autre : c’est le jour suivant, on est le lendemain d’hier, c’est aussi simple que cela ; c’est un autre jour. On est là.
On n’est pas même quelqu’un qui attend — plutôt un corps, vague et sans contour dans l’aube noir, qui est là. Et dans la tête, les mots viennent seuls, frappent à la porte et reviennent, s’imposent : ils disent état des lieux du réel, et ça ressemble à un ordre.
Alors, on se met à cette tache, écrire — rêver à la suite du rêve, la forme que ça pourrait prendre : ce récit qui serait "un état des lieux du réel", et qu’en faisant le tour de la ville, on en produirait l’impact sur soi, l’énergie suffisante pour combler l’absence du vide. Quand on aura fini, est-ce qu’on aura achevé le rêve, ou seulement initié ce vers quoi il appelait et qui commencerait là ?
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occupation des morts
vendredi 14 août 2009
Les morts sont trop occupés à se changer en pierre pour penser aux vivants et croire encore en eux.
Ils se sont un jour trouvés une place, au milieu de nos villes, où depuis, patiemment, ils travaillent à se rendre plus solide encore que les murs qui nous entourent.
Certains trouvent la formule, déchiffrent les secrets — et quand on finit par ne voir en eux que des bancs publics, c’est alors qu’ils l’emportent définitivement sur la poussière et la cendre, sur la chair et sur le vent.
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le sens de l’orientation
mercredi 12 août 2009
Pistes ouvertes à droite, à gauche ; chemins de traverse qui obliquent vers l’ouest, repartent, coupent, manquent la direction : reviennent. Au carrefour, on fait le point, étale les cartes, pose les boussoles — on ne peut savoir où on va que si on sait où on est.
On se perd moins par manque de direction que par la multiplications des orientations offertes qui finissent fatalement par se confondre.
Alors, une route après l’autre, littéralement et dans tous les sens, jusqu’à se perdre : jusqu’à perdre l’idée même de sens, de direction — et continuer.
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menaçant
dimanche 9 août 2009
MENACE (me-na-s’) s. f.
1° Parole ou geste dont on se sert pour faire craindre à quelqu’un le mal qu’on lui prépare. Les menaces ne m’ont jamais fait mal ; et ce sont des nuées qui passent bien loin sur nos têtes, MOL. Fourb. de Scapin, III, 9. La terrible menace du ciel irrité, lorsqu’il sembla si longtemps vouloir frapper ce Dauphin même, notre plus chère espérance, BOSSUET, Mar.-Thér.
2° La menace d’une chose, l’action de menacer quelqu’un de cette chose.
3° Fig. Il se dit, dans le langage élevé ou poétique, des choses qui semblent menacer.
Ce qu’on ignore, à force de scruter le ciel, l’avenir et les dangers, c’est ce qui sous le pied tremble et tombe, trombes d’eau intérieures qui se déversent et ne coulent pas, mais se répandent, se répandent, comme un lac sur des terres déjà gorgées — ce qu’on sait, de certitude inexprimable, c’est le ciel fendu de soi qui délivre, torrents de mots avant de se changer sur le sol du papier, en boues mêlées de branches et de pierres.