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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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emmuré
mardi 20 juillet 2010
Climbing up the Walls (Radiohead — ’OK Computer’, 2007)I am the key to the lock in your house / That keeps your toys in the basement
And if you get too far inside / You’ll only see my reflection
Le grand mur qui se lève, matin après matin, une pierre après l’autre dans la nuit, est percé de portes qu’on ne franchit pas — ou plutôt qu’on traverse dans un sens seulement ; et quand on se retourne, c’est terminé : on est passé.
L’aube édifie ainsi lentement l’oubli, nécessaire, essentiel, sans quoi on irait sans repos d’une pièce à l’autre et on se perdrait vite. Les murs ont l’avantage d’enfermer, de cacher, et d’interdire. On peut aussi écrire sur eux : on ne les percera pas plus — on peut se jeter sur eux, on laissera un peu de notre sang, et quoi d’autre ?
Le sang ne fait pas mieux que le corps : il ne passe pas non plus, sèchera peut-être sur les parois : écrira d’autres lettres dans des alphabets muets : non, rien d’autre.
C’est toute une ville emmurée vivante que j’ai dans le crâne : des rues où plus rien ne circule, des boutiques fermées qu’on a pris le temps de saccager avant le matin — ce matin.
J’avais bien cependant, la seconde après le réveil, les plans en tête et cette ruelle par laquelle accéder (les égouts peut-être ? les bords du fleuve ? les souterrains du métro ?) : mais tout s’est effacé sous la douche.
Maintenant, la ville ne crie plus derrière les murs, tout doit être mort. Je sais bien qu’une autre se bâtit à la lumière du jour, souvenirs au-devant de soi qui m’attendent, désirs d’être réalisés, pensées, le corps dans sa jouissance d’être exposé, présent : ignorant pourtant que tout autour des pierres se lèvent déjà autour desquels se décomposer, dans le silence et dans le noir.
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l’accès à la plage est aux chiens
vendredi 16 juillet 2010
Dogs They Make up the Dark (Devendra Banhart, ’Rejoicing in the Hands’ [2004])Dogs they make up the dark surrounding / Mountains, they move towards the sea
Lie there, shine from your wound is blinding / Mountains still move towards the sea
Derrière le mot effacé, on lit ce qui excède le sens, ou ce qui demeure sur le bord de, ce qui est en-deçà de tout, affleure et ne parvient jamais à rejoindre : on se tient devant la possibilité de l’insulte, de la caresse, du crachat et des perles de sang : tout ce qui pourrait arriver, comme un train, un orage, une lettre, un seul mot qui ferait se lever avec lui le sens et ce qui s’ensuit, le don ou le rejet : et, bien sûr, rien ne vient que l’absence.
Au théâtre, on ne peut rien dire par les mots, on est forcé de dire la situation derrière les mots. Vous ne pouvez pas faire dire à quelqu’un : « je suis triste », vous êtes obligé de lui faire dire : « Je vais faire un tour » [1]
Sur la pancarte, de loin, la phrase est parfaite : l’accès à la plage est aux chiens ; je pense au court texte de Koltès — "quand un chien rencontre un chat" : sur ce terrain, un espace de détresse et de deal plus qu’une plage, la rencontre serait parfaite : la rencontre serait juste. Terrain neutre, et désert, et plat : et silencieux, juste la mer à côté qui échoue. On resterait là pour attendre le soir et la rencontre entre le chien et le chat, et on entendrait la guerre, le sable mordu doucement.
« Si un chien rencontre un chat – par hasard, ou tout simplement par probabilité, parce qu’il y a tant de chiens et de chats sur un même territoire qu’ils ne peuvent pas, à la fin, ne pas se croiser ; si deux hommes, deux espèces contraires, sans histoire commune, sans langage familier, se trouvent par fatalité face à face – non pas dans la foule ni en pleine lumière, car la foule et la lumière dissimulent les visages et les natures, mais sur un terrain neutre et désert, plat, silencieux, où l’on se voit de loin, où l’on s’entend marcher, un lieu qui interdit l’indifférence, ou le détour, ou la fuite ; lorsqu’ils s’arrêtent l’un en face de l’autre, il n’existe rien d’autre entre eux que de l’hostilité – qui n’est pas un sentiment, mais un acte, un acte d’ennemis, un acte de guerre sans motif. » [2]
Oui, sur la pancarte, tout est là, et le mot étrange d’accès, et la rampe étroite qui descend sur la plage, et les coquillages en poussière, et le ciel qui vient recouvrir tout cela, les cris au loin des baigneurs qui se noient peut-être. Toute une scène, pas besoin de rideau, pas besoin de spectateurs (surtout pas) : le théâtre entier est là qui résiste — les chiens vont arriver, les chats, les blessures : et ce qui se donne dans les cris.
Un deal est une transaction commerciale portant sur des valeurs prohibées ou strictement contrôlées, et qui se conclut dans des espaces neutres, indéfinis, et non prévus à cet usage, entre pourvoyeurs et quémandeurs, par entente tacite, signes conventionnels ou conversation à double sens, dans le but de contourner les risques de trahison et d’escroquerie qu’une telle opération implique, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, indépendamment des heures d’ouverture réglementaires des lieux de commerce homologués, mais plutôt aux heures de fermeture de ceux-ci. [3]
Quand je m’approche, je vois tout de suite le trou entre le verbe et ce qui le suit : je vois la béance dans laquelle je suis tombé, forcément — l’accès à la plage est [ ] aux chiens — je vois l’effacement si parfait, lui aussi : et combien la phrase s’en est retrouvée rehaussée.
La langue française, comme la culture française en général, ne m’intéresse que lorsqu’elle est altérée. Une langue française qui serait revue et corrigée, colonisée par une culture étrangère, aurait une dimension nouvelle et gagnerait en richesses expressives, à la manière d’une statue antique à laquelle manquent la tête et les bras et qui tire sa beauté précisément de cette absence-là. [4]
Il fallait lire :
l’accès à la plage est
aux chiens.Le mot interdit effacé, illisible, c’est le contraire qui est venu s’y ficher — inter-dit : ce qui se dit dans la relation qu’on éprouve avec l’autre, ce que dit la relation même, dans le rapport qu’on entretient avec le silence ; et le mot sur la pancarte tu, le mot effacé, tout a trouvé sa place. L’ajustement qu’a produit l’effacement du mot est si parfait que j’ai du mal à le corriger intérieurement. L’absence a retourné la phrase comme un gant : et toute une scène en moi s’est dressée ; le rêve fantastique a pris toute la place.
Le soir, quand je rentrerai, je réaliserai que je n’ai pas pris en photo la pancarte : seulement la plage — et cette absence-là, ce manque dont je suis maintenant peuplé, que dit-il du désir d’avoir voulu le combler dans une histoire qui aurait pu en retour s’ajuster à l’effacement ?
Au théâtre, on ne peut pas envoyer quelqu’un quelque part sans but et sans motif, et on ne peut pas laisser s’écouler le temps. Tous les exemples, on les prend dans la vie, où le temps passe tout seul et où les gens se promènent sans raison. Après, il faut inventer une histoire. [5]
La plage est couverte de traces qui disent les directions qu’ont prises les chiens perdus et les types comme moi qui ont attendu les chiens qui ne sont jamais venus. Quand je lève la tête, j’ai l’impression que le ciel a pris le reflet de ce terrain neutre : et que s’y rencontrent de tels rêves idiots, étranges, où des chiens discutent aux chats l’accès au monde — dans une langue à laquelle il manquerait un mot, ce rêve là est possible. J’ai trouvé le terrain où il a lieu. Et les chiens viendront sans doute dévorer ses restes.
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cette nuit (d’artifice)
jeudi 15 juillet 2010
Nights in white satin
(reprise de la chanson de The Moody Blues par Alain Bashung —
’Dimanches à l’Élysée’ [concert 2009])Nights in white satin, / Never reaching the end,
Letters I’ve written, Never meaning to send.
Mais les nuits de grandes brumes qu’on a dressées là comme des rideaux au-dessus d’un lit, la ville pleine, le fleuve en bas qui passe et que personne ne voit : mais les nuits comme faire mains basses sur toutes les silhouettes, et du vol, des saccages sur les yeux ouverts, que dire (sinon maudire), et les nuits perdues à les dépenser, quais longés comme une poutre sur le vide et si l’on tombait, pour voir : et si la nuit était aussi noire que le fleuve, et aussi blanche que la nuit bue dans le mauvais café tiré de nos veines — et boire à pleine bouche sans le voir : mais ces nuits-là, dis.
Mais les nuits houleuses encore, de les avoir regardées dans les pupilles, directement, jusqu’à se brûler la rétine et tant pis ; et comme elles n’ont pas pu soutenir nos regards, les nuits parties, les nuits de les avoir vues bouger, remuer dans le vent et s’éloigner : et qu’est-ce qu’elles ont laissés sur les terrains vagues, et quelles colères — et sur la peau quels coups de nuit, quels coups de lune sur nos coups de soleils qui rendent nos peaux violettes et craquelées, avant d’être retirées par plaque de pelure, de nos ongles mangés par les dents d’une nuit comme celle-ci, mais moins vorace, plus compréhensible aux douleurs insensées comme on crierait dans le noir.
Alors cette nuit de satin, de lourdeur bientôt éparpillée par un orage qui ne durera qu’une minute, moins sans doute, qui ne fera qu’effleurer ce coin de ville pour mieux tomber comme un mort sur les campagnes vides, cette nuit où on éclaire le ciel pour mieux voir la nuit mais c’est la ville qu’on regarde reflétée dans le fleuve qui s’arrêterait pour un peu, et nous devant, les têtes de ces types qui bougent en rythme des canons, nous comme là par hasard, de toujours, de partir presque, d’être sur le point de, ou d’arriver ;
alors cette nuit qui tombe et qui ne heurtera rien, qui continuera de tomber dans le fleuve jusqu’à noyer en moi son souvenir, sa laideur gigantesque de feux trompeurs, de feux aussi provisoires qu’un amour promis peut-être au premier venu, premier passant parti, nuit d’artifice comme des feux d’illusions — de vérités scientifiques éternelles (des conneries provisoires) : cette nuit de papiers flambés et vite en cendres, et vite en cendres qu’on n’en parle plus — et plus jamais jusqu’à la prochaine promesse qu’on tiendra, qu’on tiendra contre soi jusqu’au fond du fleuve.
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une image de la fin
mercredi 14 juillet 2010
En passant devant un immeuble de verre, je suis pris de douleur : un mal au cœur violent comme un dégoût du reflet qui déforme en le produisant le monde en son abîme. En progressant plus péniblement, courbé en deux contre le vent, je remarque une tache, à droite, qui avance, et coulisse le long des vitres à mesure que je m’approche.
Quand je traverse, elle me fait face, et s’immobilise à un mètre de moi : elle tend la main quand je pose la mienne sur elle, et le reflet qui se dessine, flou, creusé, sans bord et sans relief, n’est qu’une projection intérieure de plus ; au mieux, perdue sur ces vitres ; au pire fichée là depuis toujours pour me dévisager : une image de ma fin, peut-être.
Je m’arrête un moment : cesse de respirer et essaie de mieux voir au travers de moi — quand j’aurai retenu ma respiration suffisamment longtemps pour ne plus sentir battre à mes temps la pulsation affolée du temps, sur la paroi de verre lisse mon ombre tombera soudain sans moi. Et je ne serai plus là pour voir sa chute.
Voilà une fin possible — c’est pitié qu’elle soit inacceptable.
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pas de témoin pour cette nuit
samedi 10 juillet 2010
Soft Black Stars (Antony & The Johnsons, ’I Fell in Love With a Dead Boy (EP)’, 2001)Let them trace the raindrops under soft black stars
Let them follow whispers and scare away the night
De la vitesse d’exposition des corps — de la grandeur des pupilles sur l’horreur — de la profondeur des plaies quand on les élargit pour en vérifier la présence — de la largeur des entailles sur le rêve, au matin, quand on l’écrit — du nombre de chiens errants morts à Bagdad ce mois — de la souillure, des rues lavées au matin sur la nuit sale d’avoir été veillée : combien de témoins ; combien de survivants.
Du temps de pose accordé sur une seconde de honte au partage des trottoirs — du bruit du métro, des portes ouvertes puis fermées sur un bruit de fond plus tenace dans le crâne qui durera jusqu’à l’aube — du bruit de l’eau sur le corps quand il se laisse tomber, qu’il va chercher plus bas ce qu’il n’a pas trouvé dans nos villes montées hautes sur le ciel — des malentendus, des silences, des livres fermés pour toujours : combien qui résistent : combien qui tiennent.
De la nuit qu’on change en jour sur nos appareils photos — des mensonges sur lesquels fermer les yeux (et ça ne change rien, sauf à leur inventer une couleur) — des cathédrales de pierres qui ne sont là que pour se vider : comme un long corps de souffrance accroché au mur, dévisageant, montrant, mourant enfin, peut-être — des lettres échangées sans rien en attendre, rien : que la parole donnée, la parole reprise — des vélos renversés sur la route, à pleine vitesse, et des cris puis (des cris encore) et des gens qu’on ramasse et qu’on met où.
D’un enfant que je n’aurai pas : rien à transmettre, rien à donner : que le jour qui lentement se donne et se défait comme un lacet — il ne pleuvra pas ce soir, je le vois dans les étoiles : il n’y a pas de témoin pour cette nuit, il n’y aura pas de souvenir, il n’y aura pas d’histoire de cette nuit : j’ai beau noter tout ce qu’elle apporte à chaque seconde, il n’y aura rien que cette nuit, puis une suivante, une autre encore, et une autre qui viendra se confondre et s’évanouir dans la nuit suivante.
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éparpillement du livre
vendredi 9 juillet 2010
Rest (Syd Matters, ’Hi life’, 2010)
Le vent circule de part et d’autre de l’appartement : c’est l’avantage de la double exposition sud/nord — il y a malgré tout des inconvénients : j’ai laissé sur le bureau les feuilles du texte que j’avais imprimées pour relire et corriger, et quand je rentre, je les retrouve en désordre mêlées aux journaux de la semaine que je n’ai pas jetés. Et quand je me penche pour les ramasser, un ordre neuf de ce texte prend naissance : plus précis que celui que je m’efforce de lui donner, jour après jour, depuis deux ans.
Le texte a une autre vitesse — le récit n’est pas moins incohérent, pas plus délié : le désordre n’y a pas cours : je me prends à relire tout cela et j’y assiste de l’extérieur — je lis dans l’ordre où je les ramasse. Le texte se dispose comme un jeu de solitaire : aucune carte n’est à sa place, pas une ne se suit, mais tout cela obéit à un règlement impérieux, c’est sûr.
Dans la rue, les voitures se reculent quand je traverse : sur la photo, les lumières rétractent en arrière d’elles toute leur énergie — une machine à remonter le temps, à suivre les points jusqu’à l’origine qui se produit devant moi.
D’un côté cette photo, de l’autre cet éparpillement des pages : et l’origine en tout point donné après coup — j’imagine que c’est à cela que ressemble un livre quand il s’émancipe de ses pages, qu’il se développe en dehors de son corps, qu’il se désorganise dans le monde.
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aucune succursale
mercredi 7 juillet 2010
Descendre la rue mille fois, et ne jamais lever les yeux sur les façades qui sont plus qu’un décor, l’élément dans lequel on évolue, un prolongement de ses pas — et la mille et unième fois (coup de vent plus féroce, soleil plus brutal, seconde d’inattention) apercevoir le panneau peint au-dessus de la porte.
D’époque sans doute (de quelle époque ?), et il y a ce mot étrange mais bien à sa place, témoin de l’ancienne fonction de ce lieu —
(su-kur-sa-l’) adj. f.
Église succursale, église qui supplée à l’insuffisance de l’église paroissiale. Substantivement. Une succursale. Par extension, établissement dépendant d’un autre et créé pour le même objet.
Sans doute, il y aurait des gens qui défendraient la beauté historique passée du panneau (et le mot surannée ?) : insulte de l’histoire qui ne porte plus peut-être parce que l’histoire est elle aussi passée, et qu’elle ne reviendra pas.
Sous l’affiche, il pourrait y avoir d’autres expressions mortes, N’habite pas à l’adresse indiquée, Poste restante : mais il n’y a rien ; seulement un restaurant.
Ici aussi, l’histoire est passée, elle a laissé une trace aussi ridicule que féroce. Maintenant, quand je reviendrai, je ne manquerai plus de lever les yeux — aucune succursale, donc : plus aucune.
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soir à montorgueil
mardi 6 juillet 2010
Marion Barfs (Clint Mansell)
Les mots de ceux qu’on frôle dans le noir alors qu’on marche sûr de soi et de sa direction, et en face, eux aussi ; alors on se croise comme on avancerait chacun dans un couloir différent, et les conversations qu’on saisit à la volée, au passage, quand on est à hauteur et qu’on entend : il n’est pas mort de ça
— , ceux-là qu’on ne croisera plus jamais, c’est en bas de Montorgueil (le soir de la lecture), allée Breton dans les Halles, à l’ombre de Saint-Eustache, on a du Clint Mansell dans les oreilles, bloqué sur un même retour de notes et fonction retour à l’infini pour ne pas avoir de début à entendre jamais et ni de fin, encore moins de fin mais entre deux passages de la même piste il y a du silence, forcément, et qui s’engouffre : il n’est pas mort de ça, non, pas de ça,
ont-ils dit, et le groupe d’après, en nombre plus restreint, ils doivent être cinq ou six, on entend, quand on souffle à côté d’eux, et que de nouveau, la piste cesse et qu’on saisit : il s’est écroulé dans la seconde ;
et cela dit sans ton ; on a du mal à comprendre pourquoi : on fait le lien (et on a du mal à comprendre pourquoi on fait le lien) entre les deux groupes, comme une seule conversation prolongée, un même tissu de phrase qui se poursuit, et je suis là pour la recevoir, deux minutes de musique, plus fort encore, je m’assois et dans le silence de pas même une seconde, un type derrière moi (seul ?) lance, à son tour : il est mieux où il est —
ils parleraient tous de la même personne ? ; il ajoute : moi je le connais il aurait jamais
et il se tait soudain, et pleure, je veux dire : comme un enfant qui pleure sans raison : non, pas comme un enfant, comme le vieillard hier à la télévision qui pleurait son enfant mort : et je me retourne, sans doute un junkie, ici, c’est un endroit idéal, mais je ne vois rien, les arbres, et le noir partout, et au loin, quelqu’un qui crie dans un éclat de rire : ce n’est pas moi
et je me lève, je pars en courant — ce soir y pense pour la première fois quand dans le rêve cette nuit je croise des foules qui parlent haut et ne me voient pas ; quand je veux lever les yeux, il fait jour et la rue est vide.
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la Chartreuse
lundi 5 juillet 2010
Like Horses (Syd Matters, ’La Question Humaine (BO)’, 2007)like houses like homes like leaving like shoes like running like fast
like horses like trust like purses like horns like dancing like drowning with a stone in your pocket
Quand je passe dans les allées vides, impossibles de cesser de penser au paysage qui me fait face si on lui retirait la surface du sol : et le nombre des corps étendus, et le spectacle sur des kilomètres.
Alors je rêve un peu autour de l’ordre établi sur ce silence s’il était ainsi exposé, à ciel ouvert, les trous creusés, les paumes des mains et les regards vides des corps ouverts au contact de l’air — champ de bataille total que n’épuiserait aucun tableau.
Le champ — n’est-ce pas le sens du mot cimetière d’ailleurs, son origine ? Le champ des repos, le champ semé qui n’attendra pas de récolte, les floraisons répandues sans soucis de moissons : aux fruits séchés, la sûreté de n’être jamais bus.
Le champ des reposés ; la terre allongée de ceux qui demeurent, qui n’ont besoin ni de temps, ni d’espace.
Et comme je marche là, je sais bien que je ne vais nulle part.
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Les lignes de désir_
Pierre Ménardvendredi 2 juillet 2010
Une carte est toujours une forme d’abstraction. Et quand y demeure seul, le tracé des rues qui se croisent, bifurquent et s’éloignent, ce tracé révèle la délicate beauté du motif sous-jacent de toutes villes. Voir une ville telle qu’elle est quand on n’est pas là. Un tel désir ne peut être que contrarié, mais un désir contrarié, loin de s’éteindre, en est au contraire avivé. Il y aurait plusieurs rues, un panneau qui décrit le chemin qui mène à un autre. Devant le panneau, on est invité à imaginer, non seulement le lieu où il se trouve mais aussi la description du chemin qui mène au panneau devant lequel on se trouve. De là, ce labyrinthe de couloirs, de portes, d’escaliers, qui ne mènent à rien, de là, ces poteaux indicateurs qui n’indiquent rien, ces innombrables signes qui jalonnent les routes et ne signifient rien. C’est comme arrêter le temps au moment où la vérité devient hallucination. Tout lieu est une stratification, c’est-à-dire la somme des différents moments de son histoire.
Un jour pas l’autre. Dans le hasard, dans le transport résiduel et dans la peau humide. Ensuite le corps réduit à la trace le nom de sa forme. La nuit est ravissante, inavouable. Là où la bouche, elle-même prononcée par l’autre bouche. Le langage dedans l’oreille dedans la fouille la morsure essentielle. La force dépend de l’exactitude. La distance seule est événement. Le recommencement est passage. Ce qui est à dire. Mais bouge le reste et c’est bien. On se bouscule pour le pain jeté ou bien la stupéfaction du baiser. Seule issue possible. La lenteur dans la marche. Nous comme un jeu. Partout l’obstacle. Comme la pensée la lumière. En sommeil le blanc du linge. Effacement progressif du geste. Demain si tout de suite heureux. On ne peut vivre sans vivre. Et chaque défaut dilaté. La sangle résiste. Comme on fait semblant d’avoir perdu son temps. Déroutant de lenteur. Dehors dedans. Marcher risque l’espace. Nulle composition, nulle invention. La distance qui sépare. Mon très lent paysage.
Le premier vendredi du mois, depuis juillet 2009, est l’occasion de Vases communicants : idée d’écrire chez un blog ami, non pas pour lui, mais dans l’espace qui lui est propre. Autre manière d’établir un peu partout des liens qui ne soient pas seulement des directions pointant vers, mais de véritables textes émergeant depuis.Pour les Vases communicants #13 — un an après les premiers échanges —, j’accueille Pierre Ménard dont l’activité poétique tend à investir (et à inventer) toutes les possibilités de l’écriture numérique : le site liminaire est devenu un espace d’expérimentation à la fois radical et mouvant, accueillant des dispositifs (sonores, textuels, photographies, ateliers d’écriture…) qui renouvellent sans cesse son propre champ.
Le texte reçu aujourd’hui dans mes carnets est un extrait des "lignes du désir", en cours d’écriture et accueilli dans les passagers de la nuit, sur France Culture.
En retour chez lui, prendre pour point d’incitation ce mot puissant qui nomme son site, et essayer d’en interroger le sens, le mouvement, l’enjeu. Merci de son accueil.
D’autres vases communicants ce mois
 (merci encore à Brigitte Célérier pour le travail de veille) :– Christophe Sanchez et Kathie Durand
– Loran Bart et Christine Jeanney
– Anna de Sandre et Jonavin
– France Burghelle-Rey et Florence Noël
– Landry Jutier et Brigitte Célérier
