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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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quelles forces reste-t-il à l’esprit qui divague
mercredi 29 avril 2020

25 septembre 1917
Chemin de la forêt. Tu as tout détruit, sans l’avoir réellement possédé. Comment penses-tu tout récolter ? Pour accomplir ce travail, le plus grand, quelles forces reste-t-il à l’esprit qui divague ?Kafka, Journal
D’un jour à l’autre, le ciel est comme l’époque : on ne peut compter que sur nous même pour prévoir. Finalement, on possède seulement la force d’affronter le mauvais temps. Il y a du vent et si fort qu’il pourrait tout disperser, l’époque et le ciel, et nous-mêmes, l’affront et la force, jusqu’au vent lui-même.
On cherche à en sortir, tous. Autant qu’on le peut — et contre eux, qui voudrait nous faire sortir, oui, pour relancer la bête machine, mais pas groupes disciplinés ; on sait bien que sortir de toute manière en l’état, c’est se jeter dans la gueule d’un loup qu’on ne sait pas encore domestiquer. Sortir, en sortir : par le rêve, c’est un premier pas loin du dedans mortel où confiné, tout pourri. Par les forces qu’on trouve dans le rêve pour repenser le monde et l’inventer, plus aberrant, plus désirable. Dans le passé aussi : pour, comme une fronde, le geste en arrière de soi permet de lancer plus loin (je ne sais pas le nom de cette force de propulsion par rétraction). Et dans tout ce qu’on peut trouver qui ne serait pas le réel, mais cette éclaircie d’irréalité permettant d’y échapper : d’en réchapper. D’en sortir, de s’en sortir.
En l’état : formule commode de l’époque, qui dit bien que nous sommes sous obéissance de l’état, cet état précaire des choses qui ne sait rien que le pas posé devant lui, qui ne sait rien d’autre que le pur présent périmé. L’effet de sidération est captif : comme l’est l’état paralysant des formules comme celle-ci. En l’état, on ne peut rien dire. La formule étatique désigne l’organisation nouvelle de l’État ? Sa puissance paralysante qui fait de toutes forces opposées une force visant à la menacer. Cette fois, sans doute, en l’état, il aurait raison de le croire.
Rêve. Une grande pièce vide. Je suis seul et cherche une fenêtre. Il n’y en a pas. Alors, je creuse avec mes ongles : un rectangle se fabrique peu à peu avec mon propre sang.
C’est plus tard, mais dans la même pièce en second jour ; passe une lumière (il n’y a toujours pas de fenêtre). Je crie : rien ne sort de ma bouche, alors je jette mes vêtements contre le mur en face. Quand je suis nu, je suis désespéré de ne pas jeter mes jambes aussi.
Quelqu’un entre par la porte (il y en avait une, depuis le début, et ouverte) : me regarde consterné ; dans la honte de ma nudité, je sors en courant : c’est une autre pièce.
Le plus sidérant, dans les discours révolutionnaires, c’est leur extrême complexité rhétorique, théorique, poétique : et leur efficacité politique, l’implacable clarté qui s’en dégage, et pour ceux qui l’entendaient dans le vacarme de la Salle du Manège, la transparence des intentions et des conséquences. Il y aurait deux siècles plus tard, quelque chose de vertigineux à regarder les renversements d’aujourd’hui.
Autre vertige : s’endormir effondré à onze heures du matin pour une courte nuit d’une heure, profonde, et pleine d’images horribles et sereines dans leur violence douce, presque confortable. Il faut se méfier des rêves qui viennent hanter le jour.
Le mois d’avril aura passé pour de faux : théâtre, mais sans action, sans espace, sans lieu. Dramaturgie par la négative ; silence partout dans la bouche d’acteurs qui font semblant de faire un geste, et qui, soudain, par une porte dérobée, sortent.
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désespéré du calme sinistre au milieu duquel on patauge
mardi 28 avril 2020

Le courant contre lequel il nage est si follement rapide que, dans un certain état de distraction, on est parfois complètement désespéré du calme sinistre au milieu duquel on patauge ; c’est, en effet, à cette distance infinie qu’on est rejeté en un instant de défaillance.Kafka, Journal
L’appel au retour à la normale écœure : autant que la situation actuelle accable. Il dit le retour à l’insupportable état de fait de l’époque — jeté par eux entre l’hier et demain comme un désir. Non, le retour à la normale n’a rien de désirable, si par état normal, on entend ce monde de mars, celui de la violence légitime exercée sur tous ceux qui ne sont pas du côté de la matraque, celle en chair, en acier, et celle en dividendes.
Quand un monde s’écroule, il se radicalise : cherche ses appuis les plus sûrs, se révèle tel que lui-même. C’est alors que sa violence s’exerce sans fard, plus féroce, plus librement ouvert à lui-même, ses penchants. Sont détruits davantage ceux qui sont détruits ; et on sauve les apparences et les quelques dividendes qui restent.
Qui pleurera la fin de ce monde ?
Rêve : route, la nuit, comme un périphérique qui ferait le tour d’une ville vide, d’un centre vide. Je suis sur la voie de gauche, la voie rapide, et j’accélère jusqu’à ce que la force centrifuge est telle qu’elle me déporte : soudain : la route s’aligne et suit ma force ; j’accélère.
Je regarde la ville que je longe et contourne : dans le mouvement centrifuge qui m’éloigne d’elle, elle semble me suivre — alors, tout me suit, la route, la ville, comme si j’étais lié à elles, que plus je tâchais de m’en défaire, plus elles s’attachaient à moi.
Je regarde de nouveau la route : le mur en face, je ne l’avais pas vu, je ne parviendrai jamais à freiner à temps.
Il paraît que les rêves faits en temps de confinement disent le désir d’y échapper : ils témoigneraient plutôt d’une terrifiante appartenance à la tristesse de l’époque.
Les déclarations ministérielles tout à l’heure, écoutées distraitement, égrènent le possible et l’interdit en surjouant la bienveillance. Elles sont celles d’un homme terrifié par l’écroulement de son monde (il dira le mot écroulement deux fois, presque au bord des larmes : larmes qu’il n’a jamais quand s’écroulent ceux qui sont broyés par ce monde). Oui, on est de part et d’autre des larmes. Celles qu’on verse sur ceux qui meurent n’ont rien de semblable avec les leurs. Dans nos larmes, il y a la soif ; dans les leurs, la peur : celle de voir que le monde va apparaître pour tous finalement tel qu’il est : celui qui a produit ce monde.
D’ailleurs quand il dit : c’est un cadre de liberté avec des exceptions, c’est tout le contraire qu’on entend. Quand je regarde le temps qu’il fait, c’est aussi cela que je vois, au loin : les orages qui voudraient tout nettoyer. Au loin, la foudre, et pas le tonnerre, pas encore. Au loin : les larmes amassées, les serments sur les corps morts qu’on n’a pas pu veiller, les jours enfuis.
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puis la lumière du feu impérissable
lundi 27 avril 2020

Aube du 25 janvier 1918.
Avant de fouler le seuil du Saint des saints, il te faut retirer tes chaussures, et non seulement tes chaussures, mais tout, ton costume de voyage et tes bagages, et ta nudité qui est en dessous et tout ce qui est sous ta nudité et tout ce qui se dissimule sous elle, puis le noyau et le noyau du noyau, puis le reste, puis le surplus, puis la lumière du feu impérissable. Seul le feu lui-même est absorbé par le Saint des saints et se laisse absorber par lui, ni l’un ni l’autre ne peuvent y résister.Ne pas se débarrasser de soi, mais se consumer.
Kafka, Journal
En général, on confine pour garder sous la main ; en général, la réclusion est une punition ; en général, on maintient à distance ceux qu’on veut garder sous silence : en général, cette histoire est celle des hommes qu’on pend parce qu’on veut les protéger du suicide. En général, les maladies finissent par la mort ou par la guérison : non par l’enfermement avec sursis. En général, penser en général empêche de penser : en général.
Entendu ce matin : après des mois sous ce régime, on ne sera pas malade, mais on sera mort. On peut mourir en bonne santé aussi. Par exemple : de cette vie. Ce n’est qu’un exemple.
Ils annoncent l’orage et le ciel bleu par habitude, ou pour occuper le temps. Personne n’occupe plus l’espace pour recevoir le temps qu’il fait, qui tombe. Sauf ceux qui dehors savent le ciel rien qu’à cette douleur à l’épaule — et qui préfèrent écouter leur corps que les matinales. On verra tomber la pluie comme un autre de ces événements qui n’aura lieu que par un prolongement accidentel du passé. Comme dans ces dessins animés, l’animal qui poursuit l’autre, court si vite qu’il ne voit pas que la proie s’est cachée, court encore jusqu’à oublier le virage, se retrouve au-dessus du vide et court encore et court encore dans le vide : ne tombe que lorsqu’il prend conscience du vide sous lui.
Rêve. Rentrée universitaire. Étudiants par milliers, on ne l’avait pas prévu ; on les entasse dans des amphis immenses, et pour régler le problème, quelqu’un a l’idée splendide de fermer à clé, et de jeter la clé.
Le reste du rêve, débarrassé ainsi de l’intrigue, se déroulera dans les longs couloirs du lycée — ou de l’hôpital ? Quelle différence ; quelle importance ? —, à ouvrir toutes les portes (elles ne s’ouvrent jamais).
Sauf une, mais derrière la porte, deux jeunes filles se tenaient en équilibre sur le rebord des fenêtres, et — en me voyant — surprises, tombent : dans un cri de terreur.
J’avance dans l’automne 1792 comme un somnambule. Je sais la suite, fais semblant de l’ignorer pour mieux avancer dans ce noir plein de lueurs, d’éclats blancs, et rouges sang. Est-ce qu’ils avançaient aussi dans ce noir-là, les Conventionnels, sûrs d’aller à l’échafaud précipités chacun par les autres — dans ce culte de l’égalité, il ne fallait pas qu’une tête dépasse —, mais faisant comme s’ils avaient l’éternité pour eux. Le pire : ils ont eu l’éternité pour eux ; la preuve.
Non, je n’avance pas, j’arrache, un soir, un jour après l’autre : comme des peaux mortes.
Au milieu, la vie qui passe est parcourue d’instants, striés. La suivre comme sur sa peau le doigt, à la recherche de ses contours, de son désir, de la poursuite insensée de la contre-vie qui saura nous en défaire.
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la possibilité de faire un commencement
dimanche 26 avril 2020

15 septembre.
Tu as, si tant est que cette possibilité existe, la possibilité de faire un commencement. Ne la gaspille pas. Si tu veux pénétrer en toi, tu n’éviteras pas la boue que tu charries. Mais ne t’y vautre pas. Si, comme tu le prétends, la blessure de tes poumons n’est qu’un symbole — symbole de la blessure dont l’inflammation s’appelle F. et dans la profondeur s’appelle justification — s’il en est bien ainsi, les conseils des médecins (air, soleil, lumière, repos) sont aussi un symbole. Saisis-toi de ce symbole.Kafka, Journal
S’il arrive au temps de passer, aux passants, aux nouvelles, on sait au moins que cela n’arrivera pas au passé. Jamais le passé ne sera achevé désormais qu’il a eu lieu et porte en lui les forces pour s’accomplir pleinement ou s’oublier tout à fait. L’effusion de possibles que portent le passé est infinie, parmi répandue autour de nous et il suffirait presque de se baisser pour s’en saisir ; s’il n’y avait pas la question du risque de se brûler. Nous sommes vivants sous condition de ce passé. Par là s’organise le monde contre l’idée même des forces encloses dans les passés : par là le passé fabriqué comme un patrimoine clos, achevé : vouée à l’admiration ou au mépris, à la dévotion : à la crainte. Par là cette perte d’expérience, par là le présent partout continue sous les bandeaux d’information du temps réel ; par là l’abîme de présent sans avenir qu’est notre temps.
Du présent, faisons table rase. Au nom même du présent puisque ce serait sa tâche : d’être l’espace où l’expérience du passé serait de nouveau déployée, des passés choisis en vertu de leurs forces.
Que restera-t-il de ce présent déjà suspendu dans un temps perdu ? Qu’en faire plus tard ? Que faisons-nous du passé disponible qu’on pourrait répandre comme une trainée de poudre sur ce présent arasé ? Questions : on vit chaque jour tant dans l’expérience négative de la dissolution, sans rien voir des puissances accomplies autrefois pour cette seule raison de s’en emparer aujourd’hui : et que sont ces jours ? De la cendre humide, un livre froissé, que la pluie a préservé des flammes.
Rêve. S’enfoncer dans cette forêt alors que la nuit tomberait bientôt n’aiderait pas ma plaie à la main à se refermer, mais je m’y enfonçais, avec cette pensée comme seule certitude.
Quand la nuit tomberait forte et lourde, je m’allongerai — en espérant que les loups qui me suivaient depuis la clairière ne me verraient pas ; et je fermais les yeux.
Je ne les ouvrirai qu’à la première morsure dans le ventre : il pleuvait.
La dernière expérience privée sera le sommeil. La phrase est de Mussolini. Tout le reste appartient au Pouvoir. Ils voteront pour savoir si on n’aura la joie de se savoir traqué, jour (et nuit ?) pour notre bien évidemment. Le tracking sera anonyme, mais on saura que c’est nous : l’anonymat n’est jamais anonyme pour la technologie, une adresse IP est déjà une adresse, avec un corps derrière qui s’y abrite. On imagine le loup trouvait un second souffle et disperser la maison de brique, qui n’était que de brindilles.
Sur le banc, le livre a donc brûlé, laissant seul voir les mots passés à l’épreuve du feu. Image de ces jours.
La lutte porte désormais sur les imaginaires : sur leur privation. L’enjeu : que nos imaginaires soient l’espace où se réarment les possibilités existentielles, leur prolifération. Plonger dans le passé non pour s’y abriter ou tourner le dos au présent, mais y fouiller les fourches, pioches, piques et les relever de la poussière : elles peuvent encore servir. Elles serviront. Le livre brûle seulement pour faire apparaître dans l’éventement les mots arrachés à leur gangue syntaxique, historiciste, flottante à la surface du présent pour être de nouveau disponibles, par destination.
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la main enchantée capable d’entrer dans la machinerie
samedi 25 avril 2020

21 novembre 1913.
Faire des prédictions, se modeler sur des exemples, éprouver cette angoisse bien déterminée, tout cela est ridicule. Ce sont là des constructions qui, même au sein de l’imagination où elles sont seules à dominer, ne parviennent qu’à peine à la surface vivante, mais doivent toujours être noyées d’un seul coup. Qui donc possède la main enchantée capable d’entrer dans la machinerie sans être déchirée par mille couteaux et semée à tous les vents ?Kafka, Journal
Traverser sans regarder. J’apprends l’expression prise d’air : « ouverture assurant un échange d’air entre le dedans et le dehors. » Manque la définition de dehors. Manque le dehors. Quand on marche dehors, palpant dans sa poche l’autorisation (inutilement : elle est sur nos téléphones), on est dans un autre dedans, les murs invisibles sont dressés par la loi, le danger, l’invisible peur.
On a de moins en moins peur, on voit davantage les murs et ceux qui les dressent. Qui nous dressent dans la peur ? Si le danger est réel, il y a aussi ce qu’ils en feront. Ce qu’ils feront de nous, et ce que nous ferons de ce qu’ils font de nous. Logique toujours aussi fatale et librement circulée dans le travers des choses. Sirènes hurlantes, une voiture de police passe. Le temps aussi, mais il ne prend pas cette peine d’hurler ; on traverse : de l’autre côté, il sera plus tard. Mais quand ?
Rêve. Délire plutôt. La ville était construite dans le sens de la profondeur. À la surface, les bâtiments où on travaillait ; au fond de la terre, les dortoirs où on s’entassait. Entre les deux, seulement des routes. Les villes étaient posées les unes à côté des autres. Je remontais à la surface : c’était une autre.
Alors je marchais, latéralement. Folie pure. On m’arrêtait, on hurlait sur moi, mais on me laissait passer. Je ne comprenais pas les hurlements et moins encore qu’on me laisse aller ainsi, dans les terrains vagues qu’était devenu le monde.
Je me souviens que peu à peu, je ne voyais plus personne ni de ville. Je me souviens que j’oubliais peu à peu où j’allais, puis pourquoi j’aillais. Je me souviens que j’oubliais la peur des profondeurs et des patrouilles ; que j’étais pris d’un violent désir sans objet. Une voiture ne tarderait pas à me faucher définitivement, mais j’aurai connu le bonheur de cet oubli.
Dans les rêves au moins, on a prise : au réveil, on reprend pied, on se saisit des images, on en est terrifié et soulagé ; on est libéré de cette vie perdue. Apprentissage de la révolution. Charge de faire de l’expérience intime une tâche commune ?
J’ai décroché. Je ne sais plus rien du monde ; la radio le matin est lancée sur de la musique abstraite, lointaine. Trois pages de Lénine me font renouer un peu au monde, mais elles aussi semblent lointaines en dehors de l’approche du réel. Toujours cette lutte entre dehors et réel, et dans le feu croisé, le piège du dedans, de soi, des murs autour.
J’avais oublié : les hurlements de trois heures du matin. Je les ai peut-être poussés comme un charriot dans le noir, ou un corps mort : pour me protéger de la paroi qui approchait, des coups. J’entends encore les cris, les miens comme ceux d’un autre que moi et qui était davantage moi. Ma quête désespérée d’allégories mènerait finalement quelque part.
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d’où la clarté mille fois réfractée de la lumière tombe sur moi
vendredi 24 avril 2020

6 juin, 1914.
Il existe certaines relations que je peux ressentir distinctement, et que je suis incapable de percevoir. Il serait suffisant de plonger un peu plus profondément ; mais, à ce moment précis, la pression d’en haut est si forte que j’aurais l’impression de toucher le fond tout à fait, si je ne sentais le courant se mouvoir au-dessous de moi. En tout cas, je lève mes regards vers la surface, d’où la clarté mille fois réfractée de la lumière tombe sur moi. Je remonte à la surface et je barbote, bien que je déteste tout.Kafka, Journal
Donc on étouffe. À côté des mots enfermement, emprisonnement ou isolement s’est ajouté celui de confinement : raffinement supplémentaire dans l’art de gouverner, ou nuance de plus dans la grande syntaxe de cette réalité qu’on dit contemporaine ? Simple façon de désigner la nature de l’époque qui ne peut survivre qu’en cessant toute vie d’aller et de venir : de vivre leur vie.
À petit feu couve dans les intérieurs chauffés à blanc par la misère et la solitude partagée une myriade d’implosions qui ont peut-être déjà eu lieu, brûleront avec effet retard ; peut-être comme pour les étoiles mortes, nous apprendrons l’ampleur réelle de la tragédie seulement bien après leurs derniers feux.
Oui, dans les dedans confinés nous ne sommes contemporains de rien : le compte des morts s’ajuste mal chaque jour aux nombres réels. Au gré des rattrapages, on annonce les cadavres oubliés dans un coin plus perdu, négligés, passés à travers des mailles du filet statistique. Décidément, ce compte — ce décompte — qui scande le temps à rebours et en retard sur tout dit quelque chose de notre appartenance attardée au présent. Bien sûr, on ne fait pas le compte des naissances ; on sait seulement que les pères attendent à la porte des hôpitaux qu’on crie par la fenêtre l’heure et le prénom.
Rêve [1]. J’entends du bruit dans la pièce à côté ; je cours. C’est A***, l’enfant de l’amie, qui a choisi de s’installer ici : et qui refuse de s’endormir. Il a creusé un grand trou dans le sol.
On saute à pieds joints au fond du trou.
Nous attendent, gueules ouvertes, des chiens immenses et furieux : tenus en laisse par un autre chien, docile, compatissant, si bon qu’ils nous jettent des poignards pour abréger nos souffrances.
Est-on sûr que le temps passe ? La théorie de la relativité doit être discutée : et fermement.
Le pouvoir nous a promis de nous donner des masques : personne ne l’aura attendu pour cela. Personne ne semble plus rien attendre quoi que ce soit, ni une parole vraie ni geste qui ne soit pas des coups. De l’autre côté de la mer, le pouvoir propose de boire de l’eau de javel pour se soigner : comme toujours, le Nouveau Monde parle sans fard une vérité pour fausse qu’elle soit témoigne de la nature profonde de ses intentions. Le lapsus n’a pas besoin d’être ce glissement pour révéler au bleu de méthylène ses projets.
Sur le parking, se perdre dans les lignes perdues. Emplacements vides : terrain vague vaguement défait, en attente d’une fonction. Il la trouve sous les pas, sans effort. On marche sur lui et il devient ce qu’il n’était pas : parking fonctionnel remplacé par un chemin sans bord ni direction, on reprendrait la main. On frapperait tant sur la réalité qu’on creuserait des trous de la dimension d’une vie possible, ça ferait des appels d’air, les portes battantes battraient, on passerait, on ne ferait que passer.
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dans notre propre main la volonté, ce fouet
jeudi 23 avril 2020

16 octobre 1916.
Est-il possible que ma raison et mon désir me fassent d’abord connaître l’avenir dans ses contours glacés et que je n’entre dans la réalité de ce même avenir que progressivement, tiré et poussé par eux ?Il nous est permis de prendre dans notre propre main la volonté, ce fouet, et de le brandir au-dessus de notre tête
Kafka, Journal
Est-ce qu’on sort pour vérifier le grand dehors, constater que rien n’est à sa place, mouvant dans le cours des choses, et qu’on réalise combien on n’est que cela : des corps qui traversent une marée dont on ne sait si elle monte ou descend mais on passe, un temps incertain, avant d’être emportés par lui, et le plus vite possible ? Est-ce qu’on sort pour prendre l’air — et à qui ? Ou pour ne pas devenir fou (pour ne pas devenir fou) : pour ne pas avoir à constater que c’est le même jour, au-dedans, qu’on est le 16 mars encore et toujours ? Non. On sort pour espérer saisir dans la lumière, un corps, des bruits : quelque événement qui renverserait le monde.
Déficit par milliards. On leur proposerait bien d’arrêter de compter, mais ils ne savent faire que cela. Rien pour eux ne possède un prix : tout a coût. De part et d’autre de toute cette réalité qu’ils ont patiemment construite à grands cris et de cadavres, il y a toujours un débiteur et un créditeur. Ils n’avaient pas prévu la maladie, ou seulement comme une histoire. Pour eux, les histoires sont enfermées dans des livres qu’on ne lit qu’aux enfants le soir pour les assommer et qu’on n’en parle plus. Ils ne prennent plus la peine d’expliquer la nature de la fiction, alors que les histoires ne servent qu’à cela : penser comment le faux met à l’irréductible présence du monde, comme s’il était là et tel qu’en lui même pour toujours, impensable autrement : l’histoire nous enseigne à le penser autrement. Les monstres, les fantômes, les puissances dans les histoires : ce n’est pas vrai que c’est faux ; la vérité prend des chemins détournés pour se dire et révéler la vérité pleine face de l’époque : parfois dans des histoires inventées, et, parfois, dans le code génétique d’un être à peine vivant de la sous-famille orthocoronavirinae de la famille des coronaviridae, dont le nom porte trace d’un mot qui dans l’ancienne langue disait la couronne, parce que les virions sous un microscope électronique, apparaissent avec une frange de grandes projections bulbeuses qui ressemblent à la couronne solaire. On est peu de choses, à la merci d’un plus minuscule encore.
On est des présences flottantes dans le cours de l’histoire dont le chiffre est sans doute déposé dans quelques histoires : rien n’est écrit, mais les histoires possèdent cette réserve de possible quand le monde tourne vers une impasse. Cette réserve de possible, ce n’est pas le nom d’une maladie, mais par exemple un grand maillet qui servirait à frapper contre ce mur, là, qui ferme l’impasse.
Rêve : la célèbre controverse linguistique datant du quinzième siècle — dite controverse de Flore — faisait retour, avec comme autrefois ses camps bien rangés, son lot de calomnies féroces, sa faculté à rebattre les cartes de la perception du réel, de tout réorganiser du champ idéologique, de ne rien laisser en dehors de lui.
Je ne savais rien de cette controverse, et j’étais le seul.
Bien sûr, au début, je faisais semblant ; mais je ne trouvais nulle part où m’informer. Les forces en présence luttaient, mais sans se donner la peine de dire sur quoi, et dans quel but. Alors, je renonçais, et à quelques proches (perdus de vue il y a longtemps, et qui, comme la controverse renaissante, revenaient) : j’avouais. On posait sur moi des yeux plein de compassion d’abord, et rapidement, de haine.
Ciel de retour. Mais d’où ? Et vers où ?
La date du 11 mai apparaît de plus en plus comme elle n’a jamais cessé d’être, comme n’a jamais cessé d’être tout ce qui semble un horizon dans leur bouche : un mirage, un faux-semblant, un piège.
On sort pour prendre la peine de s’éprouver vivant encore et marchant encore dans le grand dehors, on sort non pour désobéir (piteux héroïsme) ou pour répandre autour de soi la mort (piteuse condamnation) : simplement pour renouer avec son corps, renouer le corps du monde et le sien propre, pour marcher la ville et voir comme elle répond, et elle ne répond plus de rien, abandonnée par ceux qui l’ont saccagée hier : on sort pour vérifier que le monde n’est plus vivable, qu’on est l’agent pathogène de ce réel, on sort pour prendre des marques, ceux qu’on a sur le corps après les coups : on sort sans raison parce qu’on exige de nous d’en donner une ; on sort, simplement : on sort pour brusquer le silence dehors.
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ne serait-ce qu’implorer son rêve,
mercredi 22 avril 2020

19 octobre 1917. — Rayon de soleil de félicité.
Faiblesse de ma mémoire pour les détails et le développement de ma propre manière de concevoir le monde — très mauvais signe. Rien que les fragments d’un tout. Comment veux-tu, ne serait-ce que toucher à la plus grande des tâches, comment veux-tu ne serait-ce que sentir sa proximité, ne serait-ce que rêver son existence, ne serait-ce qu’implorer son rêve, ne serait-ce qu’oser apprendre les lettres de la prière, si tu n’es pas capable de te ressaisir de telle sorte qu’une fois le moment décisif venu, tu tiennes tout ton être dans une seule main comme une pierre à lancer, comme un couteau prêt à tuer ? Toutefois : il n’est pas nécessaire de se cracher dans les mains avant de les joindre.
Kafka, Journal
Haine de l’intériorité — phrase répétée comme un horizon, le critère à la mesure duquel peser chaque chose (des années accompagnées par un tel juge de paix : attendant peut-être des jours comme ceux-ci pour s’éprouver dans son âpre vérité, incontestable). L’autre boussole de ces jours qui attendaient le naufrage pour servir avec nécessité, c’est ce texte de W. Benjamin sur Le caractère destructeur, sa force vitale : « Le caractère destructeur est l’ennemi de l’homme en étui. Ce dernier cherche le confort, dont la coquille est la quintessence. L’intérieur de la coquille est la trace tapissée de velours qu’il a imprimée sur le monde. Le caractère destructeur efface même les traces de la destruction » [2] Pas besoin d’autres étoiles d’autres bergers ; avancer dans le jour le jour des nuits sans lendemain, avec cette haine doublement portée devant soi comme antidote à toutes les tentations du repli, du chez-soi, de l’enfermement comme vertu.
Bien sûr qu’ils appellent — implorent — à ce qu’on en profite : la loi du profit leur sert de syntaxe à leur grammaire d’exploiteur. Qu’on trouve un bénéfice : qu’on mise sur cet investissement de soi pour soi. Qu’on soit son propre actionnaire du temps confiné. Bien sûr. Le matin, écouter Le monde ou rien, mais très fort, pour couvrir les matinales du réveil mises par mauvais réflexes, en vague fond et qui tombent sur soi comme l’eau devenue sale au contact de la peau.
La haine, cela voulait dire aussi : le désir, l’envers absolu. Elle dit qu’on meurt toujours au-dedans des choses, que le dedans est fait pour cela, et pour la punition, et pour l’enfer. Que le dedans est l’endroit où tout pourrit.
Rêve : oublié.
Il y avait bien des images : le cinéma bondé, alors je rentre (mais je me perds et trouve refuge dans un cinéma — c’est le même : j’avais pourtant marché loin) ; la pluie, très forte et soudaine, mais le ciel était dégagé ; un homme se penchait sur moi, immobile, allongé, pour me parler, il s’approchait de mon oreille, je fermais les yeux plus fort encore pour le faire partir, il ne disait rien, seulement qu’il avait besoin de me dire quelque chose, quelque chose que je n’oublierai pas de sitôt (la formule : pas de sitôt, il la disait en riant, froidement).
Rien que des scènes coupées au montage. Mais au réveil justement, j’aurais cette coupure nette au doigt de la main gauche qui rendra douloureux tout geste fait avec la main fermée ; coupure que je n’avais pas la veille en me couchant. La preuve qu’il s’est passé bien des choses, cette nuit.
J’ai oublié la phrase d’Henri Michaux. Elle disait quelque chose comme : il faut beaucoup d’aujourd’hui et de lendemain pour rattraper après demain. Ce n’est pas la phrase exacte. Rien ne peut l’être de toute façon.
Oui, peut-être que toute la stratégie — celle qui annonce les cadavres comme les jours de fin de ces jours : à heure fixe, et toujours provisoirement, pour mieux repousser le compte, nous tenir à leur merci, docile et passif, avec chantage à la mort — est bien celle de nous faire glisser dans le renoncement, d’acquiescer à notre propre oubli. Peut-être que ce mot de glisser dit le tout de ces jours. Et qu’il donne aussi la force de trouver d’autres mots (mais quel est le contraire de glisser ?)
Arrêter, freiner, immobiliser ; enlever, extraire, retirer ; approfondir, appuyer, creuser, insister. Aucun ne convient évidemment. Il faudra inventer. Le soleil posé là-haut battait dans le vent une mesure inaudible. Le contraire de glisser, c’est peut-être : ce mouvement au moment où on sombre dans le sommeil et qu’il ne faut pas (parce qu’on conduit ; ou parce qu’il faudra bien finir par écrire ce moment où Saint-Just prend la parole ce 13 novembre 1792, pour la première fois à la Convention — « J’entreprends, Citoyens, de prouver que le roi peut être jugé » (etc.) — et les silences après cela) : mais non, il ne faudra plus d’il faudra, non, pas d’il faudra, plus jamais.
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afin de te changer en celui que tu es
mardi 21 avril 2020

23 octobre 1917. — De bonne heure au lit.Cet après-midi, avant l’enterrement d’un épileptique noyé dans le puits.
Connais-toi toi-même ne signifie pas : observe-toi. Observe-toi est le mot du serpent. Cela signifie : fais de toi le maître de tes actes. Or, tu l’es déjà, tu es maître de tes actes. Le mot signifie donc : méconnais-toi ! Détruis-toi ! c’est-à-dire quelque chose de mauvais, et c’est seulement si l’on se penche très bas que l’on entend ce qu’il a de bons et qui s’exprime ainsi : afin de te changer en celui que tu es.
Kafka, Journal.
On met les cadavres dans des sacs en plastique qu’on brûle aussi vite que possible dans la plus stricte intimité hygiéniste ; on parle à des écrans ; on assure la continuité pédagogique (c’est faux) ; on consulte à distance des médecins qui auscultent comme ils peuvent ; certains arrivent à lire dans la clôture du monde (ils mentent) ; la plupart font comme ils peuvent : l’attente y est le contraire de l’oubli, plutôt l’effort de se souvenir.
La technologie au service de la surveillance mène la guerre à nos imaginaires : guerre qui n’a rien de larvée. Les boucles répétitives de la musique que j’écoute du matin au soir donnent le change. Au-dedans d’elle on peut apprendre au moins à fabriquer un présent continu.
Entre aujourd’hui et après-demain, il n’y a pas de lendemain : faudra-t-il qu’on enjambe nos ombres ? Passer hier devant la fondation de la ville éventrée : des mauvaises herbes surgissaient partout, un chat hurlait comme un chien : le silence était partout comme de la nuit en plein jour.
Rêve. Terriblement précis à nouveau (ce sont les joies des réveils nombreux : dormir d’un œil plonge l’autre au cœur du pire des images). Dans un immense bateau, les passages étaient rassemblés à fond de cale grande ouverte sur la mer.
On me désigne — avec un autre — pour montrer que tout est tranquille, oui, qu’on peut nager, sereinement, et revenir dans le bateau sans aucun danger. Applaudissements généreux. On se saisit de moi, et, sans un mot, menaçant, on me fait signe vers la mer démontée.
Je me jette dans l’eau glacée et immédiatement plonge comme une pierre au fond de l’eau où je me débats et m’étouffe, et me débattrai encore et encore si je ne m’étais pas réveillé d’étouffement.
Ciels déchirés. Des nuages en guenilles sur Marseilleveyre. On ne sait pas si la pluie tombe ou remonte de la mer ; on ne sait pas s’il va pleuvoir ou s’il vient de pleuvoir : on ne sait pas grand-chose de ce monde qui s’enfonce dans l’incertain. Sortir, et se jeter à coup sûr vers la seconde vague qui risquerait plus surement que la première de tout submerger, ou rester dedans et pourrir sur place. Pendant ce temps, la faillite générale sans autre solution que la remise en cause de tout ce sur quoi reposait leur monde.
Depuis hier, matin, le prix du pétrole est négatif : on paie celui qui achète. Oui, ce monde n’est pas seulement malade. Sous nos yeux, la folie pure fait engrenage. Les perruches au-dessus du supermarché — dont la file d’attente était vomie jusque sur la route — volaient, lentement.
Les directions à prendre on les connaît : ce n’est pas par là. C’est : plus loin, ou de biais, et au-dessous, la taupe finira par remonter vers des terres saccagées et en ruines ; on aura au moins des pierres à portée de main — à nous d’en faire bon usage.
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se regarder comme quelque chose d’étranger
lundi 20 avril 2020

6 décembre 1917 De trois choses l’une :
Se regarder comme quelque chose d’étranger,
oublier ce qu’on a vu,
retenir le regard.
Ou bien de deux seulement, car le troisième exclut la seconde.Kafka, Journal
Ils disent les jours heureux et ils montrent les tableaux, les courbes. Ils disent aussi nous. Ils disent les mots efforts à ceux qui n’en peuvent plus, ils répètent les jours heureux et évidemment le mot grince, le mort tord le cœur, ils souriraient presque. Ça y est, ils sourient en disant les jours heureux, peut-être qu’ils le pensent, non, ils ne le pensent pas, ils disent les jours heureux sans rien penser ni rien savoir de ce que peut être l’heureux des jours, s’ils savaient : ils ne le diraient pas, en souriant.
La pluie pourrait laver le monde, elle tombe depuis hier pour cela, et elle n’arrache rien de la peau morte de ceux qui disent les jours heureux comme s’ils crachaient.
Ils disent nous comme pour cracher sur nous aussi et d’ailleurs ils le font, ils crachent sur nous.
Rêve. De nouveau Lakanal, espace récurrent des rêves, comme le lieu central des spirales, celui qui échappe. Cette fois, j’y reviens longtemps après (ce pourrait être aujourd’hui). Je montre les lieux à des amis — restés dans l’ombre tout le rêve, de sorte que je serai seul à la fin, à désigner les lieux à moi-même.
D’abord, tout est à sa place, les bâtiments, les grands ensembles, les couloirs, les corps. La lumière surtout, la lumière presque noire, mais qui s’accroche où elle le peut pour ne pas sombrer, la lumière émouvante de ces lieux qui s’accrochent à moi comme à un souvenir qui ne saurait revenir que dans les rêves, qui ne repose que là, et dont je visite le cadavre par-dessus le linceul du lit, la nuit en stèle.
Je passe une cour après l’autre, je laisse les couloirs de l’internat de l’hypokhâgne, et je descends vers les bâtiments, les salles de latin, de géographie — mais on a bâti à la place un hôtel de luxe, avec écrans et hall d’accueil ; je demande ma route, on me dit que tout y est encore, et les cours ont lieu, mais au-dedans de l’hôtel, construit tout autour, par-dessus le corps caverneux du lycée. Je chercherai vaguement l’entrée, regardant plutôt comment est fait cet hôtel, la modernité obscène qui tient lieu de lieu : un client se présente, on le roue de coups. Je pars en courant, mais on me rattrape rapidement.
Trois jours sans rien écrire, j’ai laissé Robespierre à son triste sort, quelque part entre la rue Saint-Honoré et le couvent des Jacobins. Je le laisse me hanter lentement, parfois, j’entends la voix, je ne sais pas qui écrit qui : lui ou moi. Entre la nuit et moi, il n’y a plus que le cadavre de Saint-Just que je profane sans méthode, avec obstination.
Tombé avant-hier sur ces longs hangars : murs écrits en toutes lettres, qui racontaient le vrai roman de ces jours, le journal absolu du contraire du confinement. Le lire lettre après lettre, lentement.
La leçon de ces jours, c’est qu’il n’y en a pas. Quelques minutes devant ces murs ont suffit de m’en convaincre. Il n’y a pas de leçons, à peine des jours. Il y a ce qui nous sépare d’eux, de ces jours, de ces leçons. Et qu’on vienne oser nous parler encore de jours heureux qu’ils nous préparent sans doute comme ils ont aménagé le monde ces trois derniers siècles : et qu’on déferle alors sur eux avec tout ce qu’on aura amassé, pendant ce temps, dans nos poings.








































