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Christchurch | Sous le ciel renversé

Ce que murmure le long nuage blanc

mardi 25 mars 2025


Janvier - juin 2025 : remonter le cours du monde par l’est.

— Le sommaire

 #1. Bangkok, ville furieuse
 #2. Ayutthaya & Sukhothai, ruines de ruines
 #3. Chiang Mai & Chiang Rai, vestiges du Lanna
 #4. Descendre le Mékong
 #5. Luang Prabang, d’or et de cendres
 #6. Nong Khiaw & Muang Ngoi, où va le nord Laos
 #7. Ban Phong Van, sources de l’or blanc
 #8. Xieng Maen, de l’autre côté
 #9. Kuang Si, ce qui tombe
 #10. Le Tak Bat, d’aubes en aubes
 #11. Vang Vieng, refuge de far-east
 #12. Vientiane, capitale intempestive
 #13. Les Quatre Mille Îles, et davantage de ciels
 #14. Champassak, à la lune recommencée
 #15. Phimai, perspectives futures du passé
 #16. Dans la jungle de Khao Yai, fragments sauvages
 #17. Bangkok, derniers feux
 #18. Sydney, dans les reflets, la ville dressée
 #19. De Sydney à Melbourne, la Ligne Bleue
 #20. Melbourne, ville sans promesse
 #21. De Melbourne à Adélaïde, The Great Ocean Road
 #22. Adélaïde, lenteurs et effacements
 #23. Vers la Nouvelle-Zélande, enjamber le Pacifique
 #24. Christchurch, sous le ciel renversé


De Christchurch, ne pas pouvoir être davantage à l’est du monde, à moins de basculer le jour suivant — ou de devenir une vague —, Le vent souffle sans fin sur Waimairie Beach, emportant tout sur son passage, jusque dans les îles lointaines, là où le soleil se retire chaque soir pour se cacher sous l’horizon, la mer en face semble prête à avaler l’ombre des montagnes, comme un dernier acte avant l’invisible et de chaque côté, tout est déjà loin, tout se retire, même l’air, sec et salé, se fraye un chemin, sur le point de se dissiper dans l’infini, sans autre destination — l’océan est ce geste suspendu, souvenir inachevé d’un fragment lui-même perdu dans la mémoire d’un peuple massacré.

De Christchurch, tenter de saisir l’équilibre fragile entre la ténacité et les plaies laissées ouvertes par le séisme de 2011, longer les ruines de la cathédrale éventrée, puis s’asseoir sous les chênes du jardin botanique où tout cherche à reprendre son cours — mais lequel ? Chaque pierre effondrée porte en elle le souvenu ir d’un cri, la fragilité d’un instant qui ne se renouvellera pas, les fissures sur les murs des bâtiments, sur les visages des habitants, disent encore la violence du tremblement, du sol qui a déchiré les certitudes, et pourtant, le silence du jardin semble tout effacer, tout digérer : mes arbres, plus vieux que la ville, murmurent sans hâte, ils ne cherchent pas à réparer, ils acceptent seulement, à leur manière, l’inachèvement, et à chaque branche tombée, une question naît, qui ne trouve jamais sa réponse : un mouvement indéfinissable traverse l’air, entre passé et futur où le présent est piétiné par nos ombres.

De Christchurch enfin, lever les yeux vers le « Pays du Long Nuage Blanc », constater qu’il y en a plus d’un, se demander si les maoris lisaient dans ces formes le visage des jours à venir, imaginer qu’ici le ciel est une mer renversée où voguent les îles lourdes de pluie : les nuages se déploient, se tordent, se meuvent sans fin comme des créatures anciennes, des ancêtres qui n’ont jamais cessé de se souvenir de leur propre origine et parfois, une éclaircie laisse filtrer une lumière étrange, tiède, comme si le monde retenait son souffle, et les montagnes, loin, presque invisibles, semblent prêtes à plonger dans la mer, comme des esprits d’autrefois qui se dissolvent dans l’eau, tandis que les oiseaux, invisibles eux aussi, dessinent des signes que personne ne comprend plus — oui, les maoris savaient peut-être lire cette lente danse, comprendre que chaque forme du ciel est une promesse et une menace, que le pays, dans sa splendeur désolée, contient tout, et qu’à la fin il ne reste que le vent qui passe et recouvre les voix.