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Hanmer Springs | La brume et l’échappée
Vaines
dimanche 30 mars 2025

Janvier - juin 2025 : remonter le cours du monde par l’est.
— Le sommaire
– #1. Bangkok, ville furieuse
– #2. Ayutthaya & Sukhothai, ruines de ruines
– #3. Chiang Mai & Chiang Rai, vestiges du Lanna
– #4. Descendre le Mékong
– #5. Luang Prabang, d’or et de cendres
– #6. Nong Khiaw & Muang Ngoi, où va le nord Laos
– #7. Ban Phong Van, sources de l’or blanc
– #8. Xieng Maen, de l’autre côté
– #9. Kuang Si, ce qui tombe
– #10. Le Tak Bat, d’aubes en aubes
– #11. Vang Vieng, refuge de far-east
– #12. Vientiane, capitale intempestive
– #13. Les Quatre Mille Îles, et davantage de ciels
– #14. Champassak, à la lune recommencée
– #15. Phimai, perspectives futures du passé
– #16. Dans la jungle de Khao Yai, fragments sauvages
– #17. Bangkok, derniers feux
– #18. Sydney, dans les reflets, la ville dressée
– #19. De Sydney à Melbourne, la Ligne Bleue
– #20. Melbourne, ville sans promesse
– #21. De Melbourne à Adélaïde, The Great Ocean Road
– #22. Adélaïde, lenteurs et effacements
– #23. Vers la Nouvelle-Zélande, enjamber le Pacifique
– #24. Christchurch, sous le ciel renversé
– #25. Akaora, échouée à l’horizon
– #26. Taylors Mistake, sauf erreur
– #27. Hanmer Springs, la brume et l’échappée
Hanmer Springs — longtemps refuge de chasseurs maoris et de marchands de fourrures — ne se réveille plus que dans la brume, dans cette époque indécise où l’eau chaude, trouvée par hasard, est devenu une promesse d’apaisement – pour quelques dollars plus ou moins mal dépensés. Un endroit que l’on disait oublié, enfoui dans l’ombre des Alpes du Sud, mais qui, tôt ou tard, s’est laissé dévorer par l’histoire, attrapé dans l’étreinte des pionniers — des colons. Les hommes y sont venus chercher le repos dans les vapeurs et la chaleur des sources, et ce qu’ils ont trouvé, c’était l’écho d’un autre temps : celui des corps fatigués, des espoirs écrasés sous la masse des montagnes. La station thermale, aujourd’hui figée dans un temps qu’elle n’a jamais su fuir, semble porter encore ce poids, celui d’un monde qu’on a voulu reconstruire, et qui, de fait, ici, n’a jamais cessé de s’effondrer.
Quitter Christchurch pour traverser la plaine de Canterbury à perte de vue, frôler les vergers de Waipara avant de s’enfoncer dans les gorges de Weka Pass, longer la rivière Waiau étincelante sous le vent, grimper à travers les forêts sombres jusqu’aux vapeurs brûlantes de Hanmer Springs :
la route se tord et se déploie, les champs engloutissent les horizons pour ne laisser derrière eux que des bribes de souvenirs éparpillés entre les murets de pierres et les allées sinueuses des vergers, pendant que le vent soulève la poussière des terres, que la chaleur devient plus insidieuse à chaque virage jusqu’à envahir l’air qui porte avec lui les effluves de la terre et des arbres fruitiers, alors qu’au loin les montagnes semblent toujours aussi inaccessibles et restent désespérément suspendues entre l’espace et la mémoire et qu’à chaque geste du corps, le paysage change, se fait plus rude, plus âpre, mais que la route continue, que l’étendue s’élargit, que l’on franchit les frontières invisibles entre un monde de lenteur et celui, plus sauvage, où la nature reprend violemment ses droits jusqu’à l’haleine des vapeurs de Hanmer où la chaleur du sol et la vapeur de l’eau s’accordent dans la brume.
Le deuxième jour quand l’aube déchire le ciel en bruine, la ligne d’horizon passe sur les cimes des Alpes du Sud – les Spenser Range dressent leurs crêtes, le Mount Una se perd dans la brume, et sous le vent froid du matin, la mer de nuages roule sur la vallée de Clarence :
le ciel, traversé de brume, s’ouvre et le matin, encore secret et violent, passe par ce voile de vent déjà lourd qui se couche sur la vallée avec une lenteur qu’on ne saurait dire ; là-bas, la ligne des montagnes s’élève presque dénuée de contours, muraille d’ombre dressée par quelque maître indolent, et la mer de nuages avale l’espace sans raison à la manière d’une mer morte – monde qui s’efface lentement sous le poids d’une promesse que personne ne tiendra.
Le troisième jour, laisser derrière soi les brumes tièdes et les montagnes effacées, traverser la vallée de Waipara où les vignes de Black Estate s’agrippent aux collines sous le ciel en suspens et rejoindre Christchurch tendue vers l’océan :
le voile de brume s’est dissipé de nouveau et aura emporté avec lui les derniers restes de la montagne effacée, tout autour de nous la vallée de Waipara s’était étendu, accrochée au sol, et la route s’était fendue devant la voiture : les vignes de Black Estate s’élançaient sur les collines figées dans cette lumière d’entre-deux, silhouettes d’outre-tombe disciplinées accrochées aux pentes comme autant de gestes de résistance dans un monde qui ne leur accorde plus que des ombres, et le ciel semblait suspendu au-dessus, lourd de tout ce qu’il a laissé sans jamais rien laisser se réaliser — plus loin, Christchurch s’était dessiné enfin, tendue vers l’océan, ville prête à se fondre dans la mer en gardant cet air de ville qui se sait déjà hors du monde, son regard fixé sur l’immense sans illusion.














